Analyse-Livres & Culture pour tous
28 Mars 2012
(repères : thème du corps : le feuilleton)
Résumé : journaliste dans le milieu de la presse féminine sur internet, Margot Desmoulins, âgée de trente-trois ans est une femme volontaire et heureuse. Elle a accompli le rêve de sa mère Odile qui a dû renoncer à cette profession à la naissance de sa fille. Anormalement fatiguée, la jeune femme doit néanmoins assister à la réunion hebdomadaire de la rédaction en ce 25 mars 2022. C'est ainsi qu'il lui est demandé d'effectuer un dossier complet sur les bienfaits des anneaux gastriques en matière d'amaigrissement. La jeune femme en est dépitée...
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Le jour suivant, Margot, sans aucun enthousiasme, se mit à rechercher des informations sur la pose desdits anneaux gastriques. Ce sujet l’irrita littéralement. Puis, à son insu, elle se prit au jeu ; une certaine fièvre s'empara d'elle, la soulageant curieusement de sa fatigue. Un retour de vitalité se faisait jour dans sa vie. La journaliste fit des recherches sérieuses dans la littérature médicale française avant de découvrir une somme importante d'articles scientifiques aux États-Unis, très en pointe sur cette question. Ce sujet nécessiterait manifestement plusieurs jours de travail. Le journal ne lésinait pas sur les heures passées à élaborer un dossier complet dès lors qu'il faisait l'objet d'une commande impérative de la direction.
Sa première surprise vint de la découverte de la technique opératoire. Elle comprit rapidement que cette opération sous coelioscopie ne durait qu'une petite heure et que cette pièce était réglable à la demande. Ce mode opératoire semblait rodé depuis plus de trente-cinq ans d'exercice. Il avait été mis au point pour le seul traitement de l'obésité. Son second étonnement eut trait au fait que la pose d'anneaux gastriques était détournée de sa fin. Ce procédé s'étendait depuis plus d'une décennie à une population privilégiée perpétuellement en quête de remèdes d'amaigrissement. On sortait du cadre thérapeutique pour entrer dans l'ère du tout esthétique. Un nombre croissant de cliniques californiennes entreprirent de réaliser pour le confort exclusif de femmes fortunées, la quarantaine arrivant, la pose d'anneaux. Mais l'opération particulièrement onéreuse n'était pas sans risque pour cette population féminine obsédée par la minceur. Mais quoi de mieux pour paraître éternellement jeune ? La silhouette de ses vingt ans ! répondaient les candidates. Un vent de mode avait soufflé parmi ces femmes déjà refaites des pieds à la tête en passant par le sourire étincelant.
La tentation devenait alors grande pour la classe moyenne souvent en surpoids d'accéder elle aussi à cette solution miracle. Depuis peu, on voyait des cliniques se charger de cette opération à bas coût. L'implant provenait d'Asie. Les autorités sanitaires américaines ne firent rien pour rappeler les praticiens à leurs obligations en matière de sécurité, au contraire...
L'affaire fut pressentie comme juteuse par certains établissements qui se lancèrent à corps perdu dans l'opération effectuée à la chaîne. Les règles sanitaires furent plus ou moins escamotées. Les entretiens psychologiques devinrent de pure forme et on laissa le plus souvent les patientes perdues avec leur nouvel implant dans la nature. Ces dernières mal informées oubliaient de manger en petite quantité, vomissaient et souffraient le martyr avec leurs aliments bloqués dans l’œsophage. Des carences alimentaires se firent nombreuses. À bout de nerfs, des milliers de femmes se firent retirer l'anneau et reprirent davantage de poids. Un véritable désastre sanitaire. Les États-Unis commençaient dernièrement à prendre la mesure des conséquences de ce laisser-aller général...
Ce constat tragique tomba des mains de Margot. C'était précisément ce qui allait se dérouler en France avec le phénomène retard propre à toutes les innovations importées d'outre-Atlantique. Elle ne pouvait pas impunément vanter les mérites d'un procédé détourné de sa fin. Une escroquerie intellectuelle ! se dit-elle. Elle avait fermé les yeux sur bien des produits cosmétiques au mieux superflus et au pire inefficaces. Mais elle n'irait pas plus loin désormais. Elle se souvint de manière fulgurante d'une phrase de Pascal, le cœur a ses raisons que la raisons ne connaît point. Elle tenta de s'approprier cette maxime quitte à l'adapter au cas de conscience qui l'assaillait douloureusement : le corps a ses lois que l'homme ne saurait méconnaître...Ça se tient ! se dit-elle.
repères à suivre : le feuilleton (4)