19 Avril 2014
Il a été indiqué dans l’article précédent que l’étude comparée de la Gazette porterait sur la question de l’ambivalence de l’appartenance à la classe ouvrière au travers de la lecture de deux romans emblématiques :
Nous allons évoquer dans l’article d’aujourd’hui le contexte de l’action et notamment la datation et la localisation du récit.
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Notion de temps
Il convient de préciser le contexte historique de ces deux romans. Chez Zola, le cycle des Rougon-Macquart a pour objet de narrer l’histoire d’une famille sous le Second Empire et « son épanouissement dans le monde moderne ».
Nizan prolonge d’une certaine manière cet ambitieux projet en faisant naître son héros à la fin du Second Empire pour retracer son existence jusqu’en 1929. Nous assistons donc avec ces deux ouvrages à une évolution économique, politique et sociale majeure sur une large période de près de quatre-vingts ans, allant de la Révolution Industrielle initiée sous Napoléon III à son affermissement sous la IIIème République. Les mutations de la France se dessinent à la lecture de ces romans, étant précisé que l’évolution économique sert précisément de fil directeur à l’œuvre de Nizan dont le récit s’étale sur plus de soixante ans alors que l’action de la bête humaine se situe sur une courte période de seize mois.
Avec Jacques Lantier tout comme avec Antoine Bloyé, nous avons le portrait de la dernière génération de leur famille. Dans les deux ouvrages, on se rend compte de l’amélioration des conditions matérielles. Il reste que l’appartenance au monde ouvrier du héros reste entière chez Zola et problématique pour Nizan ainsi que nous le verrons dans le cadre de cette étude. Des différences entre les deux romans se découvrent aussi sur le plan topographique.
Notion de lieu
Les romans de notre étude s’enracinent en outre dans une géographie bien précise. On peut opposer la fixité de la localisation voulue chez Zola à sa multiplicité chez Nizan. On peut dresser un tracé rectiligne dans le premier roman, de larges contours pour le second.
La bête humaine de Zola se situe en effet exclusivement sur le tracé de la ligne ferroviaire Paris-Le Havre. Certes, si l’on s’y arrête bien, on reste toujours rivé sur ce même axe de passage ; après un savant travail de recherches, l’auteur a pris un soin infini à décrire les différentes étapes et l’atmosphère des lieux. Le roman est ainsi conditionné par le seul parcours de la machine. Le spectacle sous la plume de Zola a lieu à la fois dans le train mais aussi à l’extérieur, à son passage. Ce tracé rectiligne nous conduit enfin d’une gare à une autre, de la gare St Lazare à la celle du Havre. On reste donc dans un univers clos, celui des cheminots. On retrouve partiellement cette situation chez Nizan.
Dans Antoine Bloyé, c’est au contraire le caractère itinérant de l’emploi du cheminot qui est mis en scène. Les lieux changent en fonction de l’extension de la ligne ferroviaire comme c'est le cas pour le père du héros. Le fils déménage plusieurs fois avec sa famille en Bretagne.
« Lorsqu’Antoine eut deux ans, son père fut envoyé à Dirinon : il suivait l’étirement et l’allongement de la ligne Paris-Brest par la côte du sud de la Bretagne. » (page 52)
La situation continue pour le personnage principal du roman en fonction non de l’extension des lignes déjà créées mais eu égard à sa notation professionnelle. L’affectation de notre personnage s’avère une promotion lorsqu’il échoue dans une ville « non loin du Limousin » (page 183) que l’on reconnaît sous les traits de Périgueux. A l’inverse, dans ce monde sans pitié, la mutation peut aussi valoir sanction. Antoine Bloyé en fera les frais lors de son arrivée en région parisienne. Grandeur et décadence d’un cheminot…
Nous aborderons dans le prochain article la commune origine ouvrière de nos deux héros.
Repères : thème de l’industrie : l’origine ouvrière des héros