Analyse-Livres & Culture pour tous
24 Janvier 2013
(Repères : thème de la guerre : l'étude)
Il a été évoqué dans le précédent article une rencontre décisive entre deux hommes, Victorien Salagnon, ancien d'Indochine et, le jeune narrateur, dans le roman d'Alexis Jenni, L'art français de la guerre. Un curieux arrangement s'établit alors entre les deux personnages, le plus âgé donne des leçons de peinture tandis que le plus jeune entreprend de narrer la vie du soldat sans trop connaître le résultat. Victorien Salagnon a expérimenté l'art de la guerre dès 1943. Nous le retrouvons aujourd'hui en Indochine...
Une guérilla sans répit
Le jeune Salagnon est affecté à la surveillance de la forêt particulièrement hostile de la Haute région du Tonkin. Cette mission se révèle éprouvante sur le plan physique et moral. Sur ce dernier point, les soldats souffrent de l'attente longue et morne rompue par des brusques attaques qui déciment les rangs.
Le silence lourd fait peur, présage d'un danger imminent. Les soldats dans la forêt se sentent isolés et toujours en sursis. La forêt grouille de soldats du Viêt-Minh bien organisés qui mènent sans état d'âme (page 415) des opérations de guérilla efficaces.
Les exactions de part et d'autres sont nombreuses dans ce climat de guerre. Le recours à la torture des civils tient lieu de politique de terreur. On cherche des informations, certes, mais pas seulement. Il s'agit aussi de créer un climat délétère.
Un militaire affirme devant notre personnage que : « La terreur est un état général. Quand elle est bien menée, bien implacable, sans répit et sans faiblesse, alors les résistances s'effondrent. » (page 414)
Mais un jour, le poste de Salagnon est attaqué, il doit le faire évacuer. Les voilà dans la forêt poursuivis par les commandos du Viêt-Minh qui le blessent à la jambe. C'est grâce à l'admirable solidarité des frères d'armes, que le héros s'échappera de l'enfer.
Le poids de la violence
La question de la violence n'est pas éludée dans la narration. Victorien Salagnon lui-même, témoin de ce qu'il voit, se trouve rapidement amené à comprendre qu'elle est le produit de la guerre.
Au départ, il refuse la responsabilité du massacre auquel il a assisté. Mais on lui fait comprendre une réalité déjà perceptible : « Tu as tout regardé, Victorien. Dans ce domaine, il n'y a presque pas de différence entre voir et faire. Juste un peu de temps. » (page 415)
En effet, le temps ne sera guère long avant que le statut de simple observateur de notre personnage évolue. Il ne va plus seulement « regarder » mais participer activement au sein d'une « camaraderie sanglante » (page 452) à la folie meurtrière : la violence va pénétrer les pores de sa peau.
Il dira de manière elliptique : « Les morts n'étaient qu'un élément du problème, tuer n'était qu'une façon de faire. » (page 454)
Il s'agit non plus d'extorquer des informations, mais d'éradiquer l'adversaire en recourant à des armes de destruction lourde empruntées à différentes armées.
La guerre transforme implacablement donc les êtres même les plus humains en assassins. Le narrateur pose alors une question implacable : « Que sont devenus toux ceux dont les mains sont tachées de sang ? (…) -Moi ? me dit Victorien Salagnon. Moi je dessine, pour Eurydice. Cela m'épargne le ressentiment. » (page 472)
Mais bientôt, une guerre chasse -là encore- l'autre et celle d'Algérie s'ouvre alors dans le cadre d'un climat d'attentats …
Repères à suivre : l'étude : Le conflit en Algérie (Alexis Jenni)