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Analyse-Livres & Culture pour tous

Gazette littéraire

Une sanction injuste (feuilleton)

Feuilleton : employée modèle au service courrier de la Prudence, compagnie d'assurance parisienne, Maryse Nadal a une passion pour la cuisine. Elle tient méticuleusement à jour un cahier de recettes depuis des années. Elle n'aurait jamais imaginé que ce cahier serait la cause de tous ses ennuis, ce jour précisément.

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Repères: thème de la nourriture: feuilleton (2) 

Ayant déjeuné rapidement à la cantine, Maryse Nadal s'en fut à son bureau pour s'adonner à sa passion comme tous les lundis, durant le laps de temps restant. Le magazine qu'elle avait rapidement parcouru le matin même lors de son achat au kiosque de la gare Saint-Lazare promettait de tenir toutes ses promesses. Elle s'assit avec délice à sa table, ouvrit avec délicatesse la revue, puis comme à son habitude, sortit ses ciseaux et son tube de colle. Le dossier de la semaine était consacré aux recettes slaves, le Borsch et autre Golabki. La recette du Kluski, sorte de beignet, attira immédiatement son attention. Elle aimait tellement à voyager au travers de ses papilles comme elle le disait. Elle découpa avec adresse l'article et ouvrit son cahier pour coller sa nouvelle recette. Elle comprit que le Kluski nécessitait des heures de préparation et une parfaite dextérité. Il ne s'agissait nullement d'une recette facile. Qu'importe j'aime les défis ! Elle continuait à réfléchir au mode de préparation du Kluski, perdue dans ses pensées, prenant des notes en marge au crayon de papier. L'heure de la reprise avait pourtant sonné.

Ne prêtant aucune attention à la reprise de l'activité dans le service, Maryse aurait dû être étonnée du zèle inhabituel avec lequel ses collègues s'étaient aujourd'hui remis au travail.

Il faut dire qu'ils avaient joué le matin même leur tour habituel consistant à intervertir le courrier de la compagnie. Ils aimaient à le faire tant pour s'amuser que pour rappeler -plus sérieusement- l'importance stratégique de leur poste. Une paralysie temporaire, voilà tout, disaient-ils en riant. Mais, cette fois-ci, la plaisanterie n'avait pas été du goût de la Direction car, en agissant ainsi, ils avaient bel et bien égaré un document confidentiel livré par porteur. Ironie de l'histoire, ce document détaillait les modalités de réduction de la masse salariale nouvellement adoptées. Il ne devait évidemment pas tomber dans toutes les mains... Or, les recherches restaient vaines à tous les étages.

Le responsable du service, Monsieur Normandin, qui savait habituellement s'y prendre avec son personnel, fut convoqué solennellement durant l'heure du déjeuner au cinquième étage, dans le bureau du directeur général, lequel était assisté de ses collaborateurs les plus proches. Une réunion au sommet. Lorsqu'il pénétra dans le saint des saints, il se crut perdu, pensant que sa responsabilité personnelle serait immédiatement engagée. Congédié ! Il pensa alors à sa femme et à ses enfants.

La réunion débuta dans une tension extrême. Il eut droit aux remontrances d'usage. Comment faites-vous tourner ce service ? Est-ce normal de perdre un document de la première importance ? Ce document de nos consultants doit être retrouvé dans la journée !  Il eut droit ensuite au discours tenant aux économies d'échelle à réaliser dès les prochains mois. Autant commencer par ce service d'incapables du rez de chaussée ! entendit-il sans réagir. Des têtes vont tomber ! pensa le chef de service, souhaitant que ce ne soit pas la sienne qui fût offerte, en premier lieu, sur l'autel des économies. Il n'eut pas d'autres choix que de se prêter à la besogne...

Occupée à ses nouvelles recettes, Maryse tournait le dos à Monsieur Normandin qui revenait de son entretien accompagné d'une personne qui ne daignait que très rarement les honorer de sa présence : le directeur administratif.

Ce dernier jeta un regard froid et circulaire sur les salariés, pour une fois- chose notable- silencieux et animés d'une fulgurante ardeur. Il fut saisi par le contraste flagrant entre les employés débordant d'activité et Maryse, inactive, attablée devant son volumineux cahier. Il se dirigea vers l'employée et l'aborda sans préambule :

- On peut savoir ce que vous faîtes sur vos heures de travail, demanda-t-il,

- Je ...euh... me suis laissée prendre par l'heure, balbutia-t-elle, je vais me remettre au travail immédiatement.

Elle rangea ses affaires mais son précieux cahier fut pris par le directeur administratif qui l'étudia avec intérêt.

- Je vois qu'on se passionne pour la cuisine, Madame, cela ne serait pas sans intérêt si ce n'était pas du temps pris sur votre temps de travail. Levant le ton pour faire porter ses propos à l'attention de tous, il déclara : j'ai ouï dire que ce service était connu pour les libertés qu'il prend avec le sérieux et l'efficacité qu'on serait en droit d'attendre de lui. Mais il faut que cela change et tout de suite...

Il se tourna alors vers Maryse.

- Madame, je constate que vous avez failli à votre mission en refusant de reprendre votre poste pendant les heures effectives de travail. Vous êtes mise à pied immédiatement ; prenez vos affaires et rentrez chez vous. Nous verrons la suite que nous donnerons à cette affaire. Normandin, vous vous chargez de tout ! 

Conservant le cahier, il regagna son bureau avec une dignité parfaite, laissant Maryse abasourdie par la portée de la sanction.

Aussitôt qu'ils furent entre eux, ses collègues cessant leur travail, vinrent lui assurer de leur totale incompréhension et de leur profonde affection. Ils considéraient que si elle s'était attardée certes une demi-heure de plus, elle accomplissait toujours son travail avec une conscience professionnelle et une célérité extraordinaire. Elle ne mérite pas ça ! Elle a payé pour les autres, voilà tout, dirent certains ! La pauvre Maryse ! Qu'allait-elle faire maintenant ?

Incapable de réfléchir sereinement à la disproportion de la sanction, elle ne pouvait fixer son esprit que sur un élément curieux en l'instant donné : quand reverrait-elle son cahier de recettes ?

Repères à suivre : feuilleton : un climat délétère (la suite)

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L
<br /> <br /> Bonjour L<br /> <br /> <br /> Enfin me revoilà pour la suite de cette histoire captivante<br /> <br /> <br /> Bon dimanche, Lyly <br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Ta fidélité à mes petites nouvelles est admirable...<br /> <br /> <br /> <br />
F
<br /> <br /> Sanctions en cascade: l'hiérarchie des importances...<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Une sanction disproportionnée...<br /> <br /> <br /> <br />