Analyse-Livres & Culture pour tous
10 Avril 2021
Retrouvez la suite de la nouvelle de Marie Aragnieux, le ballon dirigeable, librement inspirée du célèbre arrêt Clément Bayard du 3 août 1915. Il a été indiqué qu'en 1908, les habitants de la commune d'Hermine sur Oise voient avec fierté l'implantation d'une usine d'aéronefs par un ancien enfant du pays, Auguste Mayard. Ouvrier ingénieux et intrépide, ce dernier s'est lancé dans l'industrie du cycle avant de se passionner pour la maîtrise des airs. Mais dans le concert des louanges, un homme ne partage pas cet engouement : Victor Raturel. Ce dernier cherche néanmoins à tirer parti de la situation en achetant en 1910 une parcelle de terre contiguë au fonds des entreprises Mayard. Il y fait élever une étrange palissade en bois surmontée de piquets en fer de trois mètres. Cette clôture provoque une avarie importante sur le nouveau prototype de ballon dirigeable. Le Mayard V est en effet totalement détruit ruinant les efforts entrepris par la France pour la domination des airs. La Presse s'empare alors de l'affaire. Les tentatives de conciliation avec l'indélicat voisin s'avèrent vaines. Le Conseil Municipal essaye de lui faire entendre raison. Mais buté, Victor Raturel considère qu'il a le droit de faire ce que bon lui semble sur son propre terrain. On est dans l'impasse...
Repères : thème du Mouvement : le feuilleton
L'échec de la démarche du Conseil Municipal fut rapporté au directeur de l'usine. Ce dernier la communiqua immédiatement par câble à Paris. L'affaire devenait d'autant plus grave que les Allemands venaient de remporter un exploit avec leur dernier ballon Zeplin. Auguste Mayard obtint un rendez-vous dans la soirée au Ministère. Dans un tel contexte, le vieux ministre bedonnant insista, le doigt sur le feutre de son bureau, sur le fait qu'il convenait de reprendre sans tarder le calendrier des essais. Peu importe le coût, car il ne reste qu'un argument financier à opposer à l'obstination incompréhensible de ce paysan ! déclara-t-il. Au diable les principes, il faut être pragmatique, Mayard ! asséna le Ministre. Ce n'est pas un petit chèque qui va vous faire défaut ! continua-t-il ! Il n'y a rien qu'une belle somme rondelette pour faire plier l'esprit le plus étroit de la terre ! conclut-il. Cela semblait si facile à cet homme qui avait fait sa carrière à la Chambre de disposer de l'argent d'autrui !
Il n'y avait bien qu'Auguste Mayard qui mesurait le risque qu'il encourait avec cette indemnisation. Compte tenu du nombre important des ses usines, il sentait bien qu'il prêterait le flanc à toute réclamation abusive de la part des propriétaires des fonds contigus ! Il tremblait devant ce qui prendrait la forme de chantage et d'extorsion ! Le ministre, lui, n'en avait cure ! pensa notre industriel.
Il ne croyait pas si bien dire, le ministre ne comptait que tirer avantage de sa crédibilité en la matière au sein du gouvernement. Il n'y avait bien qu'un homme comme Auguste Mayard, entrepreneur ingénieux, pour se sentir isolé dans tous ces étroits calculs politiciens. Pire, ce dernier se rendit compte que son argent ne lui avait pas permis de pénétrer dans le cercle étroit des hommes d'influence. Pour ces derniers, il restait un industriel à la botte de l'État ! Triste constat ! pensa-t-il. C'est dans ce sombre état d'esprit qu'il établit un chèque de mille francs à l'ordre du Père Raturel. Une somme considérable pour une si petite parcelle ! Le Ministre vit avec intérêt cette somme qu'il mit avec un faux détachement dans une enveloppe contenant d'ores et déjà une lettre de mission adressée au Préfet. Il congédia rapidement le généreux donateur. La lettre fut expédiée à son destinataire dans la nuit. Voilà une affaire rondement menée ! pensa notre ministre prêt à s'endormir, content de lui-même, auprès de sa délicieuse jeune épouse.
Le père Raturel reçut la lettre des mains du Préfet arrivé en grande pompe. Il la posa sur la table et le remercia, non sans fausse affabilité, de sa démarche. Le préfet insista pour qu'il en prit connaissance sur le champ afin de remplir parfaitement la haute mission reçue du Ministre. L'évocation de ce titre n'émut pas davantage notre personnage qui resta de marbre. Le père Raturel fut inflexible. Le préfet partit ainsi sans connaître le sentiment de cet obstiné. Il sentait poindre la colère du ministre et une sanction qui ne manquerait pas de tomber !
Le paysan attendit le départ des derniers curieux amassés derrière ses vitres pour décacheter l'enveloppe aux armes de la République. Un sentiment de fierté emplit son être ! Une lettre d'un haut responsable de l'État qui lui était destinée ! Quelle ironie de l'Histoire. Il vit le chèque avec la somme rondelette qui représentait plusieurs décennies de travail de la terre. Bigre ! se dit-il. Les voilà prêts à me donner une somme pareille alors que je n'ai rien demandé ! Il se pourrait que je puisse obtenir plus en la refusant. Faisons monter les enchères ! déclara le Père Ratuel. À sa femme venue aux nouvelles, il lui répondit d'un clin d'œil entendu : Va Germaine, on a une occasion pour devenir riches ! Cette dernière, qui gérait sa maisonnée d'une main de maître, laissait les affaires patrimoniales à la gouvernance de son mari. Elle rit avec lui de la perspective d'amasser de l'argent pour une fois sans peine. Ils allaient réaliser comme tous ces nantis une opération spéculative !
Bientôt la nouvelle du refus du propriétaire de la parcelle fut connue de tous. Un scandale pour la commune d'Hermine sur Oise ! La presse tenait la gazette de cette affaire qui passionnait les foules ! Comment un petit homme pouvait faire fléchir l'État ! Le pot de terre contre le pot de fer ! Une nouvelle affaire dans l'affaire !
repère à suivre : le règlement du conflit
M.Aragnieux