Analyse-Livres & Culture pour tous
30 Novembre 2009
Le thème de l'humour comprend aussi de nombreuses tirades savoureuses comme la célèbre tirade du nez extrait de Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand.
Repère: le thème de l'humour : présentation
Dans l'article précédent, nous avons vu le genre littéraire que constitue l'épitaphe, voyons aujourd'hui la tirade, qui peut devenir un morceau choisi d'humour.
Une tirade constitue une suite ininterrompue de phrases emphatiques. Il en existe une qui est devenue mythique, celle du nez extraite de Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand.
Pièce de théâtre jouée pour la première fois en 1897, Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand a connu un immense succès. Il s'agit de l'évocation libre du poète Savignien de Cyrano dit de Bergerac.
La Gazette vous a proposé de nombreux extraits de cette pièce de théâtre :
Dans l'extrait qui vous est proposé aujourd'hui, Cyrano se défend d'une attaque d'un de ses adversaires qui se moque de son nez. Il lui donne une petite leçon d'esprit que vous trouverez aussi dans une version cinématographique.
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« CYRANO :
Ah ! Non ! c’est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire... Oh ! Dieu ! ... bien des choses en somme...
En variant le ton, -par exemple, tenez
Agressif : "Moi, monsieur, si j’avais un tel nez,
Il faudrait sur-le-champ que je me l’amputasse ! "
Amical : "Mais il doit tremper dans votre tasse
Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap ! "
Descriptif : "C’est un roc ! ... c’est un pic ! ... c’est un cap !
Que dis-je, c’est un cap ? ... C’est une péninsule ! "
Curieux : "De quoi sert cette oblongue capsule ?
D’écritoire, monsieur, ou de boîtes à ciseaux ? "
Gracieux : "Aimez-vous à ce point les oiseaux
Que paternellement vous vous préoccupâtes
De tendre ce perchoir à leurs petites pattes ? "
Truculent : "Çà, monsieur, lorsque vous pétunez,
La vapeur du tabac vous sort-elle du nez
Sans qu’un voisin ne crie au feu de cheminée ? "
Prévenant : "Gardez-vous, votre tête entraînée
Par ce poids, de tomber en avant sur le sol ! "
Tendre : "Faites-lui faire un petit parasol
De peur que sa couleur au soleil ne se fane ! "
Pédant : "L’animal seul, monsieur, qu’Aristophane
Appelle Hippocampelephantocamélos
Put avoir sous le front tant de chair sur tant d’os ! "
Cavalier : "Quoi, l’ami, ce croc est à la mode?
Pour pendre son chapeau, c’est vraiment très commode ! "
Emphatique : "Aucun vent ne peut, nez magistral,
T’enrhumer tout entier, excepté le mistral ! "
Dramatique : "C’est la Mer Rouge quand il saigne ! "
Admiratif : "Pour un parfumeur, quelle enseigne ! "
Lyrique : "Est-ce une conque, êtes-vous un triton ? "
Naïf : "Ce monument, quand le visite-t-on ? "
Respectueux : "Souffrez, monsieur, qu’on vous salue,
C’est là ce qui s’appelle avoir pignon sur rue ! "
Campagnard : "Hé, ardé ! C’est-y un nez ? Nanain !
C’est queuqu’navet géant ou ben queuqu’melon nain ! "
Militaire : "Pointez contre cavalerie ! "
Pratique : "Voulez-vous le mettre en loterie ?
Assurément, monsieur, ce sera le gros lot ! "
Enfin parodiant Pyrame en un sanglot
"Le voilà donc ce nez qui des traits de son maître
A détruit l’harmonie ! Il en rougit, le traître ! "
– Voilà ce qu’à peu près, mon cher, vous m’auriez dit
Si vous aviez un peu de lettres et d’esprit
Mais d’esprit, ô le plus lamentable des êtres,
Vous n’en eûtes jamais un atome, et de lettres
Vous n’avez que les trois qui forment le mot : sot !
Eussiez-vous eu, d’ailleurs, l’invention qu’il faut
Pour pouvoir là, devant ces nobles galeries,
me servir toutes ces folles plaisanteries,
Que vous n’en eussiez pas articulé le quart
De la moitié du commencement d’une, car
Je me les sers moi-même, avec assez de verve,
Mais je ne permets pas qu’un autre me les serve.» (...)
Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand ( Acte I, scène IV) Wikisource.