Analyse-Livres & Culture pour tous
28 Mai 2013
Les Ormes (Litteratus)
repères : thème de la finance : le feuilleton
Nous retrouvons notre personnage de feuilleton de l'année au point où nous l'avions laissé : Martial de Lauzun meurt ulcéré par le succès sulfureux du premier roman de son fils publié en 1919, Sur tous les fronts. L'ouverture de la succession a lieu...
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La succession
Le décès de Martial de Lauzun entraîna l'ouverture de la succession. Théodore se trouva ainsi à la tête de nombreux biens immobiliers dépendant des Ormes. Il avait à gérer un patrimoine foncier de valeur. Après avoir bénéficié des subsides paternels, c'était à lui désormais de faire fructifier sa fortune car il avait une femme et une mère à nourrir. La liberté au risque de la transparence requérait du pragmatisme. Découvrant l'univers de la gestion, il dût tout apprendre. Il se forma sur le tas en demandant conseil au régisseur qui se fit un devoir de lui enseigner les règles de base du foncier. Il consacra avec lui de nombreuses heures à la comptabilité de son père : il fit un véritable tour d'horizon des charges et des produits du compte d'exploitation. Il considéra rapidement que l'essentiel de sa fortune se trouvait lié aux domaines forestiers des Ormes. On avait eu besoin de bois en grande quantité pendant la guerre. Son père avait su habilement tirer parti de la situation. Ces biens avaient enrichi la famille durant la guerre lorsque d'autres fortunes placées en rente avaient littéralement fondues comme neige au soleil.
Mais l'apprenti gestionnaire comprit que l'on avait extrait trop de bois de la forêt. Il était temps de repenser l'aménagement forestier pour préserver la ressource. Par ailleurs, il fallait sérieusement anticiper l'évolution du marché du bois concurrencé directement par le gaz et le charbon pour le chauffage de ville. Une nouvelle problématique se posa alors pour le jeune homme qui n'eut pas d'autre choix que de se spécialiser dans la gestion forestière. Il lut beaucoup, confronta ses idées avec ses confrères ; il proposa au régisseur des solutions pour améliorer le rendement de la coupe sans mettre en péril la pérennité des peuplements boisés. L'élève en sut rapidement autant que le maître, voire plus. Le jeune homme apporta de surcroît sa touche de modernité en procédant à la mécanisation de certaines tâches. Il assista en outre à la transformation du système boursier dans les années 1920...
La Bourse
Le jeune homme vécut dans un contexte économique et politique particulièrement tendu. Sorti financièrement exsangue de la Première Guerre Mondiale, le pays escomptait sur le payement des réparations par l'Allemagne pour renflouer ses caisses. En vain, le montant infligé aux vaincus se révéla impossible à rembourser. La situation Outre-Rhin ne permit donc pas à la République de Weimar d'honorer ses dettes. En 1923, la France décida alors d'occuper la Ruhr, ce qui fit naître une nouvelle crise entre les deux anciens belligérants, déstabilisant toute l'Europe. Le Bloc National, la chambre bleue horizon, fut remplacé par le Cartel des Gauches avec le même problème économique à résoudre.
Dans ce contexte, Théodore de Lauzun chercha à sécuriser ses avoirs : il comprit qu'il avait un portefeuille mobilier qui ne demandait qu'à fructifier. Durant cette période de l'entre-deux-guerres, on se prit de passion pour la Bourse qui fit émerger des fortunes flamboyantes. Le volume des transactions à la Bourse de Paris explosa en ce début des années 1920. La folie des gains emportait tout sur son passage. On vivait alors dans un tel climat d'euphorie que les petits épargnants plaçaient tous leurs avoirs en bourse. Théodore prit un conseil en patrimoine et plaça sa fortune en actions dans le secteur industriel. La guerre avait élargi l'horizon de la finance : on se tenait au courant des cours de la Bourse de Wall Street. Le jeune homme se prit lui aussi au jeu, il suivait avec fièvre l'envolée des titres. Il demandait des renseignements sur les entreprises cotées, tenait une correspondance suivie avec ses conseils financiers : il se voulait suffisamment éclairé sur le choix de ses placements. Il ne s'engageait jamais à la légère.
De fait, il avait instauré un garde-fou: il n'avait pas mis toute sa fortune en jeu. Le jeune homme avait ainsi investi la moitié de ses avoirs dans des placements de bon père de famille, l'autre moitié, dans des placements hautement spéculatifs. Mais pour ces derniers, il tenait à le faire en toute connaissance de cause.
C'est ainsi qu'il se mit à gagner des sommes vertigineuses. Il appartenait désormais à une nouvelle caste, non plus seulement celle de l'aristocratie qui vivotait tant bien que mal, mais celle du capitaliste évoluant dans le monde de l'argent. Il devint un gros actionnaire de la Banque de France et fit ainsi partie de ces "deux cents familles", qui dirigeaient l'économie française, selon l'expression même de Daladier formulée plus tard. De son côté, l'État récolta des fruits de ces fortunes flamboyantes en créant une taxe sur les plus-values qui succédait déjà à l'impôt sur le revenu. Durant ces années folles, Théodore de Lauzun se révéla un homme d'affaires particulièrement avisé. Pour tous, il fut évident qu'il rentrait enfin dans les rangs et que sa période sulfureuse avait pris fin. La vérité au bout des doigts ne semblait plus l'animer...
repères à suivre : le feuilleton : l'écriture aux prises avec la gestion immobilière