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Analyse-Livres & Culture pour tous

Gazette littéraire

La porte entrouverte (Jules Renard)

La porte entrouverte (Jules Renard)

  De l'art d'éconduire une personne !

 

Repères : thème de la porte : présentation

Ouvrons la porte !

Après avoir vu le bonheur dans un lieu hermétiquement clos au monde par l'entremise d'une porte soigneusement fermée, ouvrons aujourd'hui la porte, si vous le voulez bien.

Ouvrir la porte ne signifie pas forcément, faire pénétrer le nouveau venu ou en l'occurrence, la nouvelle venue.

Dans le court texte qui vous est proposé de Jules Renard, vous verrez qu'une visite inopportune peut être repoussée par un être peu scrupuleux.

De l'art d'éconduire une personne !

On trouve tout l'humour noir et le brin de misogynie de l'auteur de Poil de Carotte !

 

***

" IL FAUT QU’UNE PORTE SOIT FERMÉE

À Fernand Vanderem.


EUGÉNIE. — Vous ne voulez pas que j’entre ?

ÉMILE. — Chère madame, je suis désolé ; j’ai un monsieur, un directeur. Nous causons sérieusement. Il s’agit de gros intérêts.

EUGÉNIE. — Comment ? j’arrive de province ; je monte vos six étages et vous ne voulez pas que j’entre ! Vous êtes dur.

ÉMILE. — Ma chère dame, puisque je vous dis que j’ai quelqu’un.

EUGÉNIE. — Vous dites que c’est un monsieur, je n’ai pas peur d’un monsieur !

ÉMILE. — Sans doute, mais il est vieux et nous sommes en affaires. Je vous assure qu’il m’est impossible de vous recevoir. Tout raterait.

EUGÉNIE. — Je parie que ton monsieur, c’est une femme.

ÉMILE. — Un monsieur n’est jamais une femme. D’ailleurs, entendez-vous ? il tousse.

EUGÉNIE. — Je n’entends rien.

ÉMILE. — Il a toussé tout à l’heure. Il ne peut pas tousser constamment pour vous faire plaisir.

EUGÉNIE. — Ainsi, tandis que ce monsieur se carre, s’allonge dans ton fauteuil, il faut que je me tienne debout sur mes pauvres jambes !

ÉMILE. — Chut ! pas si haut ! le frotteur est dans l’escalier, qui racle. Le laitier peut venir d’un instant à l’autre, et la concierge ne fait que grimper.

EUGÉNIE. — Bon : chuchotons ! Ah ! que j’ai chaud ! Je boirais un verre d’eau d’un trait.

ÉMILE. — Si vous m’aviez écrit, je vous aurais attendue dans un café et nous aurions causé en prenant un bock.

EUGÉNIE. — Je te vois, c’est l’essentiel.

ÉMILE. — As-tu quelque chose d’important à me communiquer ?

EUGÉNIE. — J’ai à te communiquer que je t’aime toujours. Ouvre donc la porte toute grande. Je n’aperçois que le bout de ton nez dans de l’ombre. Là, bien. Tu es rasé ! Est-ce que tu t’es rasé pour moi ? Donne-moi l’étrenne de ta barbe.

ÉMILE. — Non, j’avoue que c’est pour moi. Boutt ! je me rase tous les deux jours. Boutt !

EUGÉNIE. — Oh ! ce petit baiser d’un sou. Embrasse-moi mieux que ça, proprement. — Qu’est-ce que tu écoutes ?

ÉMILE. — Il me semble qu’on a ouvert une porte à l’étage au-dessous. On nous guette. Vraiment, nous serions mieux dans la rue. Tu te compromets, et je ne veux pas que tu prennes l’habitude de t’exposer ainsi. Du reste, je ne suis presque jamais chez moi."

Coquecigrues, Jules Renard

http://fr.wikisource.org/wiki/Coquecigrues#IL_FAUT_QU.E2.80.99UNE_PORTE_SOIT_FERM.C3.89E

 

repères : présentation : l'entrée dans les lieux (Hugo)

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