10 Août 2011
Victor Hugo a entrepris dans sa large fresque des Misérables de faire naître notamment le symbole de l'innocence en utilisant le chant qui, par sa fraîcheur, s'oppose au feu des armes à l'heure de l'insurrection de Paris, au début de l'année 1832....
repères : les quatre éléments : le feu
Il vous est proposé une succession d'articles illustrant le thème du feu dans la littérature :
La Gazette vous propose de considérer un autre point de vue sur le feu : il s'agit de celui nourri par les armes.
Seule la littérature peut retracer le destin tragique de l'enfance fauchée par la folie humaine.
Victor Hugo a entrepris dans sa large fresque des Misérables de faire naître notamment le symbole de l'innocence en utilisant le chant qui, par sa fraîcheur, s'oppose au feu des armes à l'heure de l'insurrection de Paris, au début de l'année 1832...
Retrouvons Gavroche dans ses derniers instants...
« Il se dressa tout droit, debout, les cheveux au vent, les mains sur les hanches, l’œil fixé sur les gardes nationaux qui tiraient, et il chanta :
On est laid à Nanterre,
C’est la faute à Voltaire,
Et bête à Palaiseau,
C’est la faute à Rousseau.
Puis il ramassa son panier, y remit, sans en perdre une seule, les cartouches qui en étaient tombées, et, avançant vers la fusillade, alla dépouiller une autre giberne. Là une quatrième balle le manqua encore. Gavroche chanta :
Je ne suis pas notaire,
C’est la faute à Voltaire,
Je suis petit oiseau,
C’est la faute à Rousseau.
Une cinquième balle ne réussit qu’à tirer de lui un troisième couplet :
Joie est mon caractère,
C’est la faute à Voltaire,
Misère est mon trousseau,
C’est la faute à Rousseau.
Cela continua ainsi quelque temps.
Le spectacle était épouvantable et charmant. Gavroche, fusillé, taquinait la fusillade. Il avait l’air de s’amuser beaucoup. C’était le moineau becquetant les chasseurs. Il répondait à chaque décharge par un couplet. On le visait sans cesse, on le manquait toujours. Les gardes nationaux et les soldats riaient en l’ajustant. Il se couchait, puis se redressait, s’effaçait dans un coin de porte, puis bondissait, disparaissait, reparaissait, se sauvait, revenait, ripostait à la mitraille par des pieds de nez, et cependant pillait les cartouches, vidait les gibernes et remplissait son panier. Les insurgés, haletants d’anxiété, le suivaient des yeux. La barricade tremblait ; lui, il chantait. Ce n’était pas un enfant, ce n’était pas un homme ; c’était un étrange gamin fée. On eût dit le nain invulnérable de la mêlée. Les balles couraient après lui, il était plus leste qu’elles. Il jouait on ne sait quel effrayant jeu de cache-cache avec la mort ; chaque fois que la face camarde du spectre s’approchait, le gamin lui donnait une pichenette.
Une balle pourtant, mieux ajustée ou plus traître que les autres, finit par atteindre l’enfant feu follet. On vit Gavroche chanceler, puis il s’affaissa. Toute la barricade poussa un cri ; (…)
Les Misérables, Victor Hugo, (tome 5, livre 1er, chapitre 15) source :
https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Mis%C3%A9rables_TV_L1#Chapitre_XV_:_Gavroche_dehors
repères à suivre : la passion dévorante des livres