Analyse-Livres & Culture pour tous
15 Octobre 2010
La musique et la littérature s'unissent dans l'expression la plus parfaite de mots pour évoquer l'enfance blessée. Victor Hugo dans les Misérables a montré toute la candeur d'un Gavroche chantant sans peur des balles qui finissent par le tuer, net.
Repères : thème de la musique : présentation
Dans l'article précédent, nous avons évoqué les craintes que la musique peut susciter avec Stendhal, découvrons aujourd'hui notre dernier article de présentation sur la musique des mots.
Seule la littérature peut retracer le destin tragique de l'enfance fauchée par la folie humaine.
Victor Hugo a entrepris dans sa large fresque des Misérables de faire naître le symbole de l'innocence en utilisant le chant qui, par sa fraîcheur, s'oppose au bruit des armes à l'heure de l'insurrection de Paris, au début de 1832....
Gavroche chante sans se rendre compte qu'il est la cible d'un tir fatal.
Pathétique...
« Il se dressa tout droit, debout, les cheveux au vent, les mains sur les hanches, l’œil fixé sur les gardes nationaux qui tiraient, et il chanta :
On est laid à Nanterre,
C’est la faute à Voltaire,
Et bête à Palaiseau,
C’est la faute à Rousseau.
Puis il ramassa son panier, y remit, sans en perdre une seule, les cartouches qui en étaient tombées, et, avançant vers la fusillade, alla dépouiller une autre giberne. Là une quatrième balle le manqua encore. Gavroche chanta :
Je ne suis pas notaire,
C’est la faute à Voltaire,
Je suis petit oiseau,
C’est la faute à Rousseau.
Une cinquième balle ne réussit qu’à tirer de lui un troisième couplet :
Joie est mon caractère,
C’est la faute à Voltaire,
Misère est mon trousseau,
C’est la faute à Rousseau.
Cela continua ainsi quelque temps.
Le spectacle était épouvantable et charmant. Gavroche, fusillé, taquinait la fusillade. Il avait l’air de s’amuser beaucoup. C’était le moineau becquetant les chasseurs. Il répondait à chaque décharge par un couplet. On le visait sans cesse, on le manquait toujours. Les gardes nationaux et les soldats riaient en l’ajustant. Il se couchait, puis se redressait, s’effaçait dans un coin de porte, puis bondissait, disparaissait, reparaissait, se sauvait, revenait, ripostait à la mitraille par des pieds de nez, et cependant pillait les cartouches, vidait les gibernes et remplissait son panier. Les insurgés, haletants d’anxiété, le suivaient des yeux. La barricade tremblait ; lui, il chantait. Ce n’était pas un enfant, ce n’était pas un homme ; c’était un étrange gamin fée. On eût dit le nain invulnérable de la mêlée. Les balles couraient après lui, il était plus leste qu’elles. Il jouait on ne sait quel effrayant jeu de cache-cache avec la mort ; chaque fois que la face camarde du spectre s’approchait, le gamin lui donnait une pichenette.
Une balle pourtant, mieux ajustée ou plus traître que les autres, finit par atteindre l’enfant feu follet. On vit Gavroche chanceler, puis il s’affaissa. Toute la barricade poussa un cri ; (…)
Les Misérables, Victor Hugo, (tome 5, livre 1er, chapitre 15) source :
http://fr.wikisource.org/wiki/Les_Mis%C3%A9rables_TV_L1#Chapitre_XV_:_Gavroche_dehors
repère à suivre : l'étude : la partition d'une vie