Analyse-Livres & Culture pour tous
15 Mars 2013
Repères : thème de soi : présentation :
La mémoire de soi
Pour achever la présentation du thème de soi, il convient de parvenir à l'archétype de la création littéraire qui a pour double objet de parler de soi en redonnant conscience à sa mémoire par le jeu des sensations.
Le projet de la recherche du temps perdu de Proust a ce dessein unique de rendre au narrateur cette perception d'une époque perdue.
Le narrateur se sent enfin appelé à une création littéraire fondée sur la perception du temps. Il comprend que seul l'art permet en effet de fixer le temps ainsi « retrouvé ».
Proust s'employant à écrire son livre dans cette perspective fait débuter son ouvrage par le passage au cours duquel il entend au temps de son enfance le bruit de la sonnette du jardin de Combray. (cf premier tome, Du côté de chez Swann) et qui mènera dans le dernier tome à cette révélation d'une œuvre qui n'a jamais de fin...
Il vous est proposé de lire le premier paragraphe de ce chef d'œuvre absolu.
***
"Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le
temps de me dire : « Je m’endors. » Et, une demi-heure après, la pensée qu’il était temps de chercher le sommeil m’éveillait ; je voulais poser le volume que je croyais avoir
encore dans les mains et souffler ma lumière ; je n’avais pas cessé en dormant de faire des réflexions sur ce que je venais de lire, mais ces réflexions avaient pris un tour un peu
particulier ; il me semblait que j’étais moi-même ce dont parlait l’ouvrage : une église, un quatuor, la rivalité de François Ier et de Charles-Quint. Cette croyance survivait pendant
quelques secondes à mon réveil ; elle ne choquait pas ma raison, mais pesait comme des écailles sur mes yeux et les empêchait de se rendre compte que le bougeoir n’était pas allumé. Puis
elle commençait à me devenir inintelligible, comme après la métempsycose les pensées d’une existence antérieure ; le sujet du livre se détachait de moi, j’étais libre de m’y appliquer ou
non ; aussitôt je recouvrais la vue et j’étais bien étonné de trouver autour de moi une obscurité, douce et reposante pour mes yeux, mais peut-être plus encore pour mon esprit, à qui elle
apparaissait comme une chose sans cause, incompréhensible, comme une chose vraiment obscure. Je me demandais quelle heure il pouvait être ; j’entendais le sifflement des trains qui, plus ou
moins éloigné, comme le chant d’un oiseau dans une forêt, relevant les distances, me décrivait l’étendue de la campagne déserte où le voyageur se hâte vers la station prochaine ; et le petit
chemin qu’il suit va être gravé dans son souvenir par l’excitation qu’il doit à des lieux nouveaux, à des actes inaccoutumés, à la causerie récente et aux adieux sous la lampe étrangère qui le
suivent encore dans le silence de la nuit, à la douceur prochaine du retour."
Du côté de chez Swann, Proust
http://fr.wikisource.org/wiki/Du_c%C3%B4t%C3%A9_de_chez_Swann/Partie_1
Repères à suivre : l'étude : la part mystérieuse de soi dans la littérature