Analyse-Livres & Culture pour tous
3 Octobre 2011
Dans la Recherche du Temps perdu de Proust, tout le monde connaît le goût du narrateur pour le gâteau de son enfance. Mais sait-on que ce dernier fait l'expérience d'un étrange moment qui associe le goût à une réminiscence ?
Repères : Thème de la Mémoire : présentation
Notre présentation relative au thème de la mémoire débute avec la série de textes suivants :
Pour débuter cette thématique consacrée à la mémoire, il convient de mettre à l'honneur le souvenir le plus célèbre de la littérature : la madeleine de Proust dans la recherche du Temps perdu.
Tout le monde connaît le goût du narrateur pour le gâteau de son enfance. Mais sait-on que ce dernier fait l'expérience d'un étrange moment qui associe le goût à une réminiscence ?
C'est l'occasion aujourd'hui de nous confronter directement au texte. Celui-ci retrace la fulgurance d'une émotion associée à la saveur d'un gâteau provoquant alors un phénomène de remémoration unique.
Une description fine et psychologique...
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"Il y avait déjà bien des années que, de Combray, tout ce qui n’était pas le théâtre et la drame de mon coucher n’existait plus pour moi, quand un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, je me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblaient avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse : ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D’où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D’où venait-elle ? Que signifiait-elle ? Où l’appréhender ? (…)
Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût, c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d’autres plus récents ; peut-être parce que, de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s’était désagrégé ; les formes — et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot — s’étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d’expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir."
Du côté de chez Swann, Proust
http://fr.wikisource.org/wiki/Page:Proust_-_Du_c%C3%B4t%C3%A9_de_chez_Swann.djvu/64
Repères à suivre : les souvenirs que l'on a plaisir à raconter....