Analyse-Livres & Culture pour tous
4 Septembre 2010
La littérature et la Presse se rejoignent dans la défense de la liberté d'expression comme dans cet article de Benjamin Constant dénonçant la censure du Mercure de France sous la Restauration.
Repère: le thème du journal : présentation
Dans l'article précédent, nous avons évoqué la présentation de la série d'articles consacrée au rapport entre la littérature et la Presse au XIXe siècle.
Entrons dans le vif du sujet.
Durant ce siècle mouvementé qu'est le XIXe siècle, les menaces sur les publications sont nombreuses dès lors qu'elles ne plaisent pas au pouvoir en place. C'est ainsi que de nombreux journaux disparaissent arbitrairement et renaissent sans désemparer sous d'autres titres.
Écrivain et apôtre de la liberté de la Presse, Benjamin Constant explique très clairement le triste sort réservé au Mercure de France, censuré, sans motif sous la Restauration...
Créant un nouvel organe de Presse, appelé la Minerve, qui, dans la Mythologie romaine, est la déesse de la sagesse, de la guerre, des sciences et des arts, l'écrivain prend la plume avec bon nombre de ses amis qui co-signent cet article adressé au Public : une belle leçon de courage et de ténacité !
Lisons l'adresse de Benjamin Constant à ses lecteurs :
« Les auteurs de la Minerve au Public
La société de gens de lettres qui rédigeait depuis un an le Mercure de France, vient d'en perdre le privilège par des circonstances qu'il serait trop long d'expliquer. Soumise à toutes les lois, esclave de tous les règlemens ministériels elle avait subi, jusqu'à ce jour, les deux censures de la police générale et des affaires étrangères. Cependant le dernier numéro du Mercure a été arrêté à la poste. Pour quelle cause ? Nous l'ignorons. L'autorité frappe sans entendre, et le coupable est puni avant de savoir s'il fut accusé. Nous pouvions en appeler sans doute peut-être même fussions-nous parvenus à reparaître sous la surveillance d'une censure devenue plus ombrageuse. Mais avons-nous dû réclamer le privilège d'être froids, et l'autorisation d'être faibles? Notre condescendance quelle qu'elle fût, aurait-elle paru suffisante, et une soumission plus entière aux ordres du pouvoir nous eût-elle mis, par la suite, à l'abri de ses caprices? On peut se résoudre à écrire sous le joug d'une censure qui protège quand elle surveille mais si cette censure elle-même n'offre aucune garantie si cette assurance, d'une espèce toute nouvelle, impose des charges à la propriété, et ne la préserve point, il est impossible à des écrivains qui se respectent, de se soumettre à un arbitraire qui met sans-cesse leurs fortunes en péril, et qui fait dépendre le fruit de leurs veilles de la volonté d'un commis. D'un trait de plume on pourrait enlever à une société de gens de lettres une propriété qu'ils ont fondée, on pourrait priver de toute ressource des écrivains qu'ils ont associés à leurs travaux, des employés qui profitent de leurs succès, on les forcerait à manquer à leurs engagemens envers ce public qui paie toujours, et duquel on ne s'occupe jamais! Nous ne mériterons point-ce reproche; nous avons contracté avec lui des obligations et nous les tiendrons autant qu'il sera en nous.
Nous venons de former une nouvelle société qui publiera un ouvrage en quatre volumes, sous le titre de la Minerve française.(...) Propager toutes les connaissances utiles, favoriser le développement de l'industrie, détruire sans retour tous les préjugés que certaines classes et certains partis voudraient soutenir encore, former ou fortifier l'opinion publique, hâter l'éducation constitutionnelle de la France, affermir, en un mot*, tous les vrais principes en politique en morale et en littérature telle est là noble tâche que nous nous sommes imposée et que nous promettons de remplir, sinon avec talent, du moins avec courage. » (….)
La Minerve Française, MM Aignan, Benjamin Constant, Evariste Dumoulin, Étienne, A. Jay, E. Jouy,Lacretelle aîné,Tissot, tome 1er, 1818-1820,
source : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24215x.image.f3.langFR
Repère à suivre: les prises de position politiques