Analyse-Livres & Culture pour tous
12 Septembre 2010
La chronique judiciaire est une rubrique prisée par les écrivains comme Maupassant qui ne s'est pas privé de commenter de nombreuses décisions de justice dans le journal Gil Blas comme nous le verrons ci-après.
Repère: le thème du journal : présentation
Dans l'article précédent, nous avons évoqué la critique littéraire au travers de la bataille d'Hernani (1830), nous verrons aujourd'hui que la chronique judiciaire est une rubrique prisée par les écrivains.
La Presse s'intéresse aux faits de société.
Quoi de plus représentatifs que les faits divers qui de tout temps passionnent le public ? Il est constant que le lecteur aime à condamner ou à plaindre lorsqu'il ne s'agit pas d'éprouver quelques frissons sortant de l'ordinaire...
Sous la plume de Maupassant, relisons la chronique qu'il a rédigée pour le journal le Gil Blas en 1884 : deux décisions de justice et un étonnement mis en mots !
« Enfin ! enfin ! saluons la justice de notre pays, elle devient presque étonnante. En quinze jours, elle a rendu deux arrêts surprenants.
Elle a condamné à un an de prison une jeune furie qui avait ravagé avec du vitriol le visage de sa rivale.
Puis, huit jours plus tard, elle a frappé de la même peine un mari, complaisant d’abord, jaloux ensuite, qui avait logé une balle de revolver dans le ventre de son concurrent heureux.
Cette nouvelle manière d’apprécier ce genre de délits est assurément préférable à l’ancienne. Elle laisse cependant encore à désirer.
Dans le premier cas, un médecin, passant de la brune à la blonde, est la cause de cette affreuse vengeance, pire que la mort. Une pauvre fille, défigurée, devenue hideuse, portera jusqu’à ses derniers jours les marques horribles de l’infidélité bien excusable d’un homme.
Quel est donc le coupable, s’il y en a un ? L’homme assurément !
Il vient, comme témoin, déposer sur les faits.
Or, la seule, la vraie condamnée, la grande punie, c’est l’innocente.
Un an de prison, fort bien. Cela n’est rien. Pour un an de prison, on peut donc enlever le nez et les oreilles et brûler les yeux d’une rivale dont la beauté vous gêne. La seule manière de punir cette confusion dans le choix de la victime et cette erreur sur le coupable ne serait-elle pas de condamner à des réparations pécuniaires, les seules qui touchent profondément l’humanité ? Ne devrait-on pas ordonner que, pendant dix ans, vingt ans jusqu’à la mort puisque les atroces blessures demeureront jusqu’à la décomposition finale, - que, jusqu’à la mort, celle qui a mutilé ainsi sa rivale, au lieu de frapper l’amant, lui paie une pension, lui fasse une rente, lui donne, si elle est ouvrière, la moitié de ce qu’elle gagne et, si elle est riche, une somme considérable.
L’autre pourra offrir cela aux pauvres, si elle veut.
Dans le second cas, le mari, un ouvrier, avait toléré toutes les escapades de sa femme. Il l’a reprise dix fois dix fois elle est repartie. Il a même poussé la complaisance jusqu’à ouvrir la porte en disant : "Je te donne huit jours, mais pas plus. En huit jours, tu as bien le temps de te passer ton caprice. Puis tu reviendras et tu seras bien sage."
Elle a répondu : "Oui, mon gros loup." Elle a fait son petit paquet pour une semaine, puis elle s’est mise en route, le coeur joyeux, sur la foi de la parole jurée.
En entrant chez son ami, elle lui a dit sans doute : "Tu sais, j’ai huit jours."
Il a dû répondre : "Allons, tant mieux ! Ton mari est bien gentil. Je lui offrirai un verre à la prochaine rencontre."
Lui aussi, il dormait tranquille, cet homme. Or, un matin, il se trouve en face de l’époux. Il va vers lui, la main tendue, pour lui proposer d’entrer chez le mastroquet d’en face. Que pouvait-il craindre ? il avait encore trois jours devant lui !
Mais le mari, violant sa parole, violant le traité passé avec sa femme, traître comme un général, qui, pendant l’armistice, pendant que le pavillon blanc flotte sur les murs, ferait feu sur l’ennemi confiant et sans défense, le mari la présenta, la main, armée d’un revolver et tira.
Voyons, est-ce honnête et loyal, cela ?
Et la coupable, la seule, la vraie coupable, l’épouse infidèle, rentre tranquillement au domicile conjugal. Elle va avoir, en plus, un an de liberté ! MM. les jurés la récompensent, pour finir ! Le mari donnait huit jours ; eux ils donnent un an ! Mais tout est bénéfice à tromper son mari, dans ces conditions-là ! Comme j’en connais, des femmes, qui vont réfléchir... et peut-être... (...)"
Maupassant, Chronique, Gil Blas, 14 avril 1884
source : wikisource « http://fr.wikisource.org/wiki/Chronique »
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