9 Avril 2011
Le thème du mouvement nous mène aujourd'hui sur un mouvement subi par la nature : la tempête de Shakespeare.
Repères : thème du Mouvement : présentation
Poursuivons notre quête du mouvement en nous intéressant aux éléments !
Le vent qui peut engendrer des tempêtes terribles sur mer !
La Gazette vous propose de vous embarquer sur un navire qui est soumis à la colère des flots !
Les disputes liées à la peur se font jour dans un bruit assourdissant : le bateau sombre...
« Sur un vaisseau en mer. Une tempête mêlée de tonnerre et d’éclairs.
(Entrent le maître et le bosseman.) LE MAÎTRE.— Bosseman* ?
LE BOSSEMAN.— Me voici, maître. Où en sommes-nous ?
LE MAÎTRE.— Bon, parlez aux matelots.— Manœuvrez rondement, ou nous courons à terre. De l’entrain ! de l’entrain !
LE BOSSEMAN.— Allons, mes enfants ! courage, courage, mes enfants ! vivement, vivement, vivement ! Ferlez le hunier.— Attention au sifflet du maître.— Souffle, tempête, jusqu’à en crever si tu peux.
(Entrent Alonzo, Sébastien, Antonio, Ferdinand, Gonzalo et plusieurs autres.)
ALONZO.— Cher bosseman, je vous en prie, ne négligez rien. Où est le maître ? Montrez-vous des hommes.
LE BOSSEMAN.— Restez en bas, je vous prie.
ANTONIO.— Bosseman, où est le maître ?
LE BOSSEMAN.— Ne l’entendez-vous pas ? Vous troublez la manœuvre. Restez dans vos cabines, vous aidez la tempête.
GONZALO.— Voyons, mon cher, un peu de patience.
LE BOSSEMAN.— Quand la mer en aura. Hors d’ici ! — Les vagues se soucient bien de la qualité de roi. En bas ! Silence ! laissez-nous tranquilles.
GONZALO.— Fort bien ! cependant n’oublie pas qui tu as à bord.
LE BOSSEMAN.— Personne qui me soit plus cher que moi-même. Vous êtes un conseiller : si vous pouvez imposer silence à ces éléments, et rétablir le calme à l’instant, nous ne remuerons plus un seul cordage ; usez de votre autorité. Si vous ne le pouvez, rendez grâces d’avoir vécu si longtemps, et allez dans votre cabine vous préparer aux mauvaises chances du moment, s’il faut en passer par là.— Courage, mes enfants ! — Hors de mon chemin, vous dis-je.
GONZALO.— Ce drôle me rassure singulièrement. Il n’a rien d’un homme destiné à se noyer ; tout son air est celui d’un gibier de potence. Bon Destin, tiens ferme pour la potence, et que la corde qui lui est réservée nous serve de câble, car le nôtre ne nous est pas bon à grand’chose. S’il n’est pas né pour être pendu, notre sort est pitoyable.
(Ils sortent.)
(Rentre le bosseman.)
LE BOSSEMAN.— Amenez le mât de hune. Allons, plus bas, plus bas. Mettez à la cape sous la grande voile risée. (Un cri se fait entendre dans le corps du vaisseau.) Maudits soient leurs hurlements ! Leur voix domine la tempête et la manœuvre. (Entrent Sébastien, Antonio et Gonzalo.)— Encore ! que faites-vous ici ? Faut-il tout laisser là et se noyer ? Avez-vous envie de couler bas ?
SÉBASTIEN.— La peste soit de tes poumons, braillard, blasphémateur, mauvais chien !
LE BOSSEMAN.— Manœuvrez donc vous-même.
ANTONIO.— Puisses-tu être pendu, maudit roquet ! Puisses-tu être pendu, vilain drôle, insolent criard ! Nous avons moins peur d’être noyés que toi.
GONZALO.— Je garantis qu’il ne sera pas noyé, le vaisseau fût-il mince comme une coquille de noix, et ouvert comme la porte d’une dévergondée.
LE BOSSEMAN.— Serrez le vent ! serrez le vent ! Prenons deux basses voiles et élevons-nous en mer. Au large !
(Entrent des matelots mouillés.)
LES MATELOTS.— Tout est perdu.— En prières ! en prières ! Tout est perdu.
(Ils sortent.)
LE BOSSEMAN.— Quoi ! faut-il que nos bouches soient glacées par la mort ?
GONZALO.— Le roi et le prince en prières ! Imitons-les, car leur sort est le nôtre.
SÉBASTIEN.— Ma patience est à bout.
ANTONIO.— Nous périssons par la trahison de ces ivrognes. Ce bandit au gosier énorme, je voudrais le voir noyé et roulé par dix marées.
GONZALO.— Il n’en sera pas moins pendu, quoique chaque goutte d’eau jure le contraire et bâille de toute sa largeur pour l’avaler.
(Bruit confus au dedans du navire.)
DES VOIX.— Miséricorde ! nous sombrons, nous sombrons… Adieu, ma femme et mes enfants. Mon frère, adieu. Nous sombrons, nous sombrons, nous sombrons.
ANTONIO.— Allons tous périr avec le roi.
(Il sort.)
SÉBASTIEN.— Allons prendre congé de lui.
(Il sort.)
GONZALO.— Que je donnerais de bon cœur en ce moment mille lieues de mer pour un acre de terre aride, ajoncs ou bruyère, n’importe.— Les décrets d’en haut soient accomplis ! Mais, au vrai, j’aurais mieux aimé mourir à sec.
(Il sort.)"
La tempête, Shakespeare, Acte 1, scène 1
https://fr.wikisource.org/wiki/La_Temp%C3%AAte#ACTE_PREMIER
*Bosseman : sous-officier de marine
repère à suivre : la balançoire (Maupassant)