Analyse-Livres & Culture pour tous
17 Février 2010
La justice dans la littérature nous amène à aborder la question de la politique. Comment la justice humaine peut-elle contrecarrer le pouvoir du roi ? Retrouvez l'histoire du meunier de Sans-Souci...
repère : thème de la justice : présentation
Dans l'article précédent, il a été question des jugements de Cour avec La Fontaine, aujourd'hui il sera question de despotisme. Connaissez-vous le Meunier de Sans-Souci ?
Le roi de Prusse voulait agrandir son domaine de Sans-Souci, mais un moulin gênait ses projets. Frédéric II fait convoquer le meunier et lui offre une somme importante pour acquérir le terrain.
Celui-ci s'obstine à demeurer dans les lieux, refusant la proposition alléchante du souverain.
Une dispute célèbre va opposer le roi au meunier dans les termes suivants rapportés par Andrieu, poète dramatique :
"(...) On avait fait des plans, fort beaux sur le papier,
Où le chétif enclos se perdait tout entier.
Il fallait sans cela renoncer à la vue,
Rétrécir les jardins et masquer l’avenue.
Des bâtiments royaux l’ordinaire intendant
Fit venir le meunier, et d’un ton important :
« Il nous faut ton moulin ; que veux-tu qu’on t’en donne ? —
Rien du tout ; car j’entends ne le vendre à personne.
Il vous faut, est fort bon... mon moulin est à moi...
Tout aussi bien, au moins, que la Prusse est au roi. —
Allons, ton dernier mot, bon homme, et prends-y garde. —
Faut-il vous parler clair ? — Oui. — C’est que je le garde :
Voilà mon dernier mot. » Ce refus effronté
Avec un grand scandale au prince est raconté.
Il mande auprès de lui le meunier indocile,
Presse, flatte, promet ; ce fut peine inutile :
Sans-Souci s’obstinait. « Entendez la raison,
Sire, je ne peux pas vous vendre ma maison :
Mon vieux père y mourut, mon fils y vient de naître ;
C’est mon Potsdam, à moi. Je suis tranchant peut-être :
Ne l’êtes-vous jamais ? Tenez, mille ducats,
Au bout de vos discours ne me tenteraient pas.
Il faut vous en passer, je l’ai dit, j’y persiste. »
Les rois malaisément souffrent qu’on leur résiste.
Frédéric, un moment par l’humeur emporté :
« Parbleu, de ton moulin c’est bien être entêté ;
Je suis bon de vouloir t’engager à le vendre !
Sais-tu que sans payer je pourrais bien le prendre ?
Je suis le maître. — Vous !... de prendre mon moulin ?
Oui, si nous n’avions pas des juges à Berlin. »
Le monarque, à ce mot, revient de son caprice.
Charmé que sous son règne on crût à la justice,
Il rit, et se tournant vers quelques courtisans :
« Ma foi, messieurs, je crois qu’il faut changer nos plans.
Voisin, garde ton bien ; j’aime fort ta réplique. »
Qu’aurait-on fait de mieux dans une république ?
Le plus sûr est pourtant de ne pas s’y fier :
Ce même Frédéric, juste envers un meunier,
Se permit maintes fois telle autre fantaisie :
Témoin ce certain jour qu’il prit la Silésie ;
Qu’à peine sur le trône, avide de lauriers,
Epris du vain renom qui séduit les guerriers,
II mit l’Europe en feu. Ce sont là jeux de prince ;
On respecte un moulin, on vole une province. »
François Andrieux (1759-1833), Le meunier de Sans-Souci, anecdote, wikisource.
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