31 Octobre 2012
Repères : thème de l'illusion : le feuilleton
Résumé : Clémence Petit exerce la profession d'écrivain public avant qu'une rencontre la conduise à rédiger pour le compte d'autrui des autobiographies. Son entreprise est florissante sur la commune d'Orléans. Elle attend une nouvelle cliente, Juiliette Desmoulins, qui arrive enfin avec du retard. Surprise ! La nouvelle venue ne correspond pas aux clients habituels de l'écrivain : elle est jeune et jolie et surtout en sa qualité de journaliste parisienne, elle semble avoir de l'aisance rédactionnelle. Cette dernière souhaite offrir son autobiographie et s'en remet totalement à Clémence, un peu stupéfaite. La première séance la conforte dans l'étrangeté de la situation. La deuxième séance pose le personnage d'une femme éprise de liberté qui ne s'intéresse qu'aux hommes mariés. Elle lui narre le grand amour de sa vie, un homme non libre avec lequel elle a un fils ; elle lui donne des détails et lui demande de rédiger la fin de l'histoire. "Drôle d'exigence ! Qu'est-ce qu'elle a voulu dire ?" pense Clémence. Cette phrase jette un trouble profond dans son cœur ; elle ne tarde pas à comprendre que son mari la trompe et qu'elle a affaire à une rivale perverse...
***
C'est dans une grande tension que l'entretien suivant avec Juliette Desmoulins a lieu. Cette dernière regarde avec beaucoup plus d'attention Clémence qui la surveille elle aussi à la dérobée. Les deux femmes jouent gros ; elles le savent. Pour la maîtresse, c'est l'heure du triomphe, voir sa rivale à ses pieds. Pour l'épouse, c'est le moment où le sentiment de sa propre estime prévaut : elle ne tient pas à donner le spectacle d'une femme éplorée.
Les deux femmes se sont percées mutuellement.
La séance débute dans ces conditions ; l'exercice n'est pas aisé. Quelle est celle qui ouvrira les hostilités ? Par orgueil, Clémence tient bon et mène l'entretien sans désemparer. Par pure malignité, Juliette Desmoulins apporte des corrections à l'œuvre déjà écrite en ajoutant des détails intimes pour susciter des réactions de colère de la part de son interlocutrice. Vainement. Cette dernière se pince bien les joues pour ne pas exploser.
Mais l'écrivain reprend superbement la main en proposant d'élaborer... la fin. Elle lui lit donc le dernier chapitre intitulé : il faut bien une fin (provisoire). Elle lui demande juste de ne pas l'interrompre.
La lecture débute ainsi, le récit est rédigé au passé :
« Je conçus le projet de révéler à la femme de JB. la double vie de son époux. Entre nous, il ne savait pas choisir, il fallait bien que quelqu'un le fasse à sa place. J'ai toujours su ce qu'il fallait faire. Cela n'allait pas être compliqué. J'avais le choix, la lettre anonyme, le coup de téléphone... mais cela ne me convenait pas. Une situation à la Feydeau exigeait du talent. Justement, la profession de l'épouse légitime m'offrait la possibilité de l'approcher masquée. Il me fallait bien œuvrer pour cerner celle finalement qui était de trop entre nous deux. Il convenait de mettre les différentes rencontres sous le signe de la confiance, puis instiller à petites doses des détails pour lui mettre la puce à l'oreille. Ensuite, je devais susciter le doute et enfin lui demander de rédiger la fin. Voilà donc quelque chose qui permettait à la situation de sortir de l'ambiguïté ! »
A ce stade de la lecture, Clémence comprend que ses propres mots font mouche ainsi qu'elle le voit dans les yeux de Juliette Desmoulins. Il reste néanmoins la fin, celle à écrire...
« Mais quel a été mon étonnement lorsque celle que j'avais prise pour une bourgeoise de province défraîchie me proposa la lecture de la fin de cette
histoire finalement peu banale. Elle avait fait naître un véritable récit et je dus bien m'incliner devant elle en écoutant le dénouement ; l'illusion cède toujours le pas à la
réalité.
Je l'entendis alors me parler de ses cinq enfants, de son époux absent et de l'usure de leur amour... Le bonheur serait-il une illusion ? se demanda-t-elle.
Je l'écoutais me dire qu'elle était incapable de signer la fin d'un récit qu'elle n'aurait jamais dû connaître. Fièrement, elle renvoya cette histoire à ses deux protagonistes à qui il appartenait d'exécuter la partition qui leur revenait. Mais elle me dit surtout que tout ceci ne devait être qu'un songe, un mauvais songe que l'on ne souhaiterait pas à sa pire ennemie... »
A ces mots, tel un électrochoc, Clémence se réveilla en sursaut de son lit. D'un cri, elle tira Jean-Bernard de son sommeil. "Encore ce vilain cauchemar !" dit-il. Cela faisait quelques temps que sa jeune épouse de trente ans faisait ce rêve d'une vie de couple abîmée par l'indifférence ; il l'enlaça dans ses bras pour la réconforter. Il serait toujours là, à ses côtés, lui dit-il. Se pelotant contre lui, elle pensa avec soulagement que sa vie ne se résumait pas à ce songe. Elle avait toute la vie pour former de nouveaux rêves...
Marie Aragnieux
Repères à suivre : le thème de novembre : éditorial