Analyse-Livres & Culture pour tous
4 Juin 2010
Comment un père jusque là inconnu peut-il adopter un être qu'il n'a jamais vu et se faire adopter dans le même temps par son enfant ? Le Grand Meaulnes d'Alain-Fournier nous apporte une réponse...
Repères : thème du père : présentation : les différentes figures de père
Dans le cadre de la présentation, nous avons choisi de mettre en relief différentes figures du père, selon une gradation passant du "bon" père au père tyrannique selon l'ordre suivant :
Nous avons lu un extrait de la nouvelle de Maupassant, le Père, nous poursuivons aujourd'hui avec la deuxième figure, si vous le voulez bien.
La figure paternelle qui vous est proposée touche à la mystique des liens du sang. Comment un père jusque là inconnu peut-il adopter un être qu'il n'a jamais vu et se faire adopter dans le même temps par son enfant ?
La Gazette vous propose de répondre à cette interrogation en retrouvant le Grand Meaulnes d'Alain-Fournier qui a déjà fait l'objet d'une étude approfondie.
Rappelons le contexte de l'extrait.
Après une longue absence, Augustin Meaulnes revient chez lui et apprend le décès de sa femme, Yvonne de Galais, et la naissance de sa fille.
L'ami de toujours, François Seurel, l'accueille et lui présente... sa fille.
« Il se releva enfin, les yeux égarés, titubant, ne sachant où il était. Et, toujours le guidant par le bras, j’ouvris la porte qui faisait communiquer cette chambre avec celle de la petite fille. Elle s’était éveillée toute seule — pendant que sa nourrice était en bas — et, délibérément, s’était assise dans son berceau. On voyait tout juste sa tête étonnée, tournée vers nous.
— Voici ta fille, dis-je.
Il eut un sursaut et me regarda.
Puis il la saisit et l’enleva dans ses bras. Il ne put pas bien la voir d’abord, parce qu’il pleurait. Alors, pour détourner un peu ce grand attendrissement et ce flot de larmes, tout en la tenant très serrée contre lui, assise sur son bras droit, il tourna vers moi sa tête baissée et me dit :
— Je les ai ramenés, les deux autres... Tu iras les voir dans leur maison.
Et en effet, au début de la matinée, lorsque je m’en allai, tout pensif et presque heureux vers la maison de Frantz, qu’Yvonne de Galais m’avait jadis montrée déserte, j’aperçus de loin une manière de jeune ménagère en collerette, qui balayait le pas de sa porte, objet de curiosité et d’enthousiasme pour plusieurs petits vachers endimanchés qui s’en allaient à la messe...
Cependant la petite fille commençait à s’ennuyer d’être serrée ainsi, et comme Augustin, la tête penchée de côté pour cacher et arrêter ses larmes continuait à ne pas la regarder, elle lui flanqua une grande tape de sa petite main sur sa bouche barbue et mouillée.
Cette fois le père leva bien haut sa fille, la fit sauter au bout de ses bras et la regarda avec une espèce de rire. Satisfaite, elle battit des mains...
Je m’étais légèrement reculé pour mieux les voir. Un peu déçu et pourtant émerveillé, je comprenais que la petite fille avait enfin trouvé là le compagnon qu’elle attendait obscurément… La seule joie que m’eût laissée le grand Meaulnes, je sentais bien qu’il était revenu pour me la prendre. Et déjà je l’imaginais, la nuit, enveloppant sa fille dans un manteau, et partant avec elle pour de nouvelles aventures. »
Le Grand Meaulnes, Alain-Fournier,
Wikisource http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Grand_Meaulnes/III
repère à suivre : le père que l'on n'attendait plus (Homère)