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Analyse-Livres & Culture pour tous

Gazette littéraire

La disparition d’un monde (Tchekhov)

 

La disparition d’un monde (Tchekhov)

 

 « Vieillesse ! songeait-il. Il n’est qu’un plaisir, les larmes, et elles ne coulent pas !… » Tchekhov.

Repères : thème de la vieillesse : présentation

Le changement extérieur, reflet de notre changement intérieur

Nous avons vu dans les articles précédents les ravages du temps sur le corps, mais la vieillesse peut également évoquer la disparition d‘un monde que l’on a connu. Le changement extérieur signe aussi le temps qui passe et témoigne ainsi de notre propre vieillissement.

 

Dans l’extrait qui vous est proposé aujourd’hui, un architecte revient dans sa ville natale après plusieurs années. Il ne retrouve plus rien ses anciens repères. Tout a changé. Il ne lui reste plus qu’un ancien ennemi pour se raccrocher à son passé.

***

"L’architecte Ouzélkov, conseiller d’État, venu pour réparer l’église du cimetière dans sa ville natale, où il avait grandi, où il s’était instruit et où il s’était marié, s’y reconnaissait à peine en descendant de wagon ; tout avait changé.

Quinze ans auparavant, quand il était allé s’établir à Pétersbourg, les gamins prenaient des souslics à l’endroit où maintenant s’élevait la gare. Une maison à quatre étages, « Vienne-Hôtel », s’érigeait à l’entrée de la rue principale, là où s’étendait jadis une informe barrière. Mais rien, ni maison, ni barrière n’avaient autant changé que les gens. Questionnant le garçon de son hôtel, Ouzélkov apprit que plus de la moitié des personnes dont il se souvenait étaient mortes, s’étaient ruinées ou étaient oubliées.

– Et Ouzélkov, demanda-t-il au vieux garçon, te le rappelles-tu ? Ouzélkov, l’architecte qui divorça ! Il avait une maison dans la rue de Svirbeevsk… Je suis sûr que tu t’en souviens !

– Je ne m’en souviens pas, monsieur…

– Comment ne pas s’en souvenir ! L’affaire fit du bruit ; les cochers eux-mêmes la savaient. Souviens-toi ! Ce fut l’avocat Châpkine qui fit prononcer le divorce… Un coquin, tricheur reconnu, celui que l’on fouetta au cercle…

– Ivane Nikolâitch ?

– Mais oui, mais oui !… Vit-il ? Est-il mort ?

– Il vit, Dieu merci, il vit !… Il est maintenant notaire, il a une étude, il vit bien… Il a deux maisons dans la Kirpîtchnaia. Il a marié sa fille il n’y a pas longtemps…

Ouzélkov fit les cent pas, réfléchit et, à force de s’ennuyer, décida d’aller voir Châpkine. Il était midi ; il sortit de l’hôtel, et se dirigea lentement vers la rue Kirpîtchnaia. Il trouva Châpkine à son étude et, lui aussi, le reconnut à peine. L’avocat agile, découplé, à figure vive et effrontée, constamment ivre, qu’il avait été, était devenu un vieillard discret, débile, à cheveux gris.

– Vous ne me reconnaissez plus ? lui demanda l’architecte. Je suis votre ancien client, Ouzélkov.

– Ouzélkov ?… chercha le notaire, quel Ouzélkov ? Ah !…

Il se souvint, le reconnut et fut stupéfait. Les exclamations, les questions, les souvenirs se pressèrent."

 

Vieillesse, Tchekhov

http://fr.wikisource.org/wiki/Vieillesse

 

repères à suivre : présentation :  le vieillissement de l’autre (Mirbeau)

 

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L
La disparition d'un monde est un thème récurrent chez Tchekhov (ex la Cerisaie)
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