8 Janvier 2012
Repères : thème du pouvoir : représentation dans la littérature
Après la critique aiguisée de Montesquieu fondée sur la nature même du régime qui concentre tous les pouvoirs entre les mêmes mains, voyons la démonstration faite par Diderot dans l'Encyclopédie.
L'extrait d'aujourd'hui expose les raisons profondes de la décadence de ce puissant régime : la corruption du principe de la monarchie par l'intérêt ou le caprice du prince.
Démonstration implacable...
***
« Le principe de la monarchie se corrompt lorsque les premières dignités sont les marques de la première servitude ; lorsqu’on ôte aux grands le respect des peuples, et qu’on les rend les instruments du pouvoir arbitraire.
Il se corrompt, lorsque des âmes singulièrement lâches, tirent vanité de la grandeur que pourrait avoir leur servitude ; lorsqu’elles croient que ce qui fait que l’on doit tout au prince, fait que l’on ne doit rien à sa patrie ; et plus encore, lorsque l’adulation tenant une coquille de fard à la main, s’efforce de persuader à celui qui porte le sceptre, que les hommes sont à l’égard de leurs souverains, ce qu’est la nature entière par rapport à son auteur.
Le principe de la monarchie se corrompt, lorsque le prince change sa justice en sévérité, lorsqu’il met, comme les empereurs romains, une tête de Médule sur sa poitrine ; lorsqu’il prend cet air menaçant et terrible que Commode faisait donner à ses statues.
La monarchie se perd, lorsqu’un prince croit qu’il montre plus sa puissance en changeant l’ordre des choses, qu’en le suivant ; lorsqu’il prive les corps de l’état de leurs prérogatives ; lorsqu’il ôte les fonctions naturelles des uns, pour les donner arbitrairement à d’autres ; et lorsqu’il est amoureux de ses fantaisies frivoles.
La monarchie se perd, lorsque le monarque rapportant tout directement à lui, appelle l’état à sa capitale, la capitale à sa cour, et la cour à sa seule personne.
La monarchie se perd, lorsqu’un prince méconnaît son autorité, sa situation, l’amour de ses peuples, et qu’il ne sent pas qu’un monarque doit se juger en sûreté, comme un despote doit se croire en péril.
La monarchie se perd, lorsqu’un prince, trompé par ses ministres, vient à croire que plus les sujets sont pauvres, plus les familles sont nombreuses ; et que plus ils sont chargés d’impôts, plus ils sont en état de les payer : deux sophismes que j’appelle crimes de lèse-majesté, qui ont toujours ruiné, et qui ruineront à jamais toutes les monarchies. Les républiques finissent par le luxe, les monarchies par la dépopulation et par la pauvreté.
Enfin la monarchie est absolument perdue, quand elle est culbutée dans le despotisme ; état qui jette bientôt une nation dans la barbarie, et de-là dans un anéantissement total, où tombe avec elle le joug pesant qui l’y précipite.
Mais, dira quelqu’un aux sujets d’une monarchie dont le principe est prêt à s’écrouler, il vous est né un prince qui le rétablira dans tout son lustre. La nature a doué ce successeur de l’empire des vertus, & des qualités qui feront vos délices ; il ne s’agit que d’en aider le développement. Helas ! peuples, je tremble encore que les espérances qu’on vous donne ne soient déçues. Des monstres flétriront, étoufferont cette belle fleur dans sa naissance ; leur souffle empoisonneur éteindra les heureuses facultés de cet héritier du trône, pour le gouverner à leur gré : ils rempliront son âme d’erreurs, de préjugés et de superstitions. Ils lui inspireront avec l’ignorance leurs maximes pernicieuses. Ils inspecteront ce tendre rejeton de l’esprit de domination qui les possède.
Telles sont les causes principales de la décadence de la chute des plus florissantes monarchies. Heu ! quam pereunt brevibus ingentia causis ! (D. J.) »
http://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Encyclop%C3%A9die/Volume_10#MONARCHIE
Repères : thème du pouvoir : l'exercice du pouvoir par un poète (Lamartine)