Analyse-Livres & Culture pour tous
23 Avril 2014
Il a été indiqué dans l’article précédent que l’étude comparée de la Gazette porterait sur la question de l’ambivalence de l’appartenance à la classe ouvrière au travers de la lecture de deux romans emblématiques :
Nous avons évoqué le contexte de l’action, l’origine ouvrière de nos deux personnages et leur éducation. Voyons aujourd’hui que Jacques Lantier et Antoine Bloyé entrent dans une compagnie de chemins de fer.
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Les deux héros sont employés dans un monde clos. La lourdeur de la hiérarchie se mesure à tous les échelons du travail. Les ordres sont les ordres. Mais c’est aussi un monde clos. On est logé par la compagnie, on vit avec ses collègues, on se jalouse. On se marie lorsqu’on n’entretient pas des relations adultérines au sein de ce monde fermé. On y boit pour oublier l’abrutissement de la tâche ou l’on y joue par dépit. Les deux personnages restent bien dans l’univers du rail. Antoine Bloyé épouse la fille d’un chef de gare et Lantier tombe amoureux de la femme du sous-chef de gare et c’est bien dans l’enceinte de la gare que sont abritées leurs amours.
Chez Zola et chez Nizan, on perçoit bien les données de la condition ouvrière dans le domaine ferrovaire. Cependant les deux héros n’occupent pas la même place au sein de la hiérarchie ferroviaire.
Jacques Lantier est un mécanicien alors qu’Antoine Bloyé, cadre, après avoir l’un après l’autre les échelons pour devenir chef des ateliers départementaux. Mais ils se trouvent tous les deux soumis à la même lourdeur administrative du système. Le sentiment qu’ils éprouveront pour la hiérarchie est en plusieurs points les mêmes : ils méprisent les donneurs d’ordres en bon spécialiste du rail. Ainsi Jacques Lantier qui a sous ses ordres un chauffeur en charge du charbon doit respecter les procédures internes et attendre les ordres des chefs de gare. Il vilipende les erreurs de jugement de sa hiérarchie et son imprudence lorsque le train est bloqué dans la neige. Il a la conscience claire d’un homme qui connaît son travail. Cette même conscience, on la retrouve chez Nizan.
Antoine Bloyé deviendra un cadre de l’industrie du train, quittant le terrain proprement dit pour organiser le trafic sur une zone. C’est un travailleur acharné qui ne s’arrête jamais. Il contrôle le travail de ses subordonnés n’hésitant pas à revenir à ses premières amours, la conduite de machines, lorsqu’il le faut. Il gagne l’estime des ouvriers du rail par son sérieux et sa clémence car il connaît mieux que quiconque les ouvriers. Or, c’est à l’épreuve d’une grève qu’il ressentira un profond malaise dans sa nouvelle condition de cadre. Il assiste impuissant à la répression policière contre les ouvriers. Il se sent dans l’autre camp. L’ambivalence de la situation est patente.
« Je suis mon propre ennemi, se disait-il. Cette division de lui-même, ce déchirement de sa vie, cet abîme qui séparait sa jeunesse de son âge mûr, ce malheur éclataient dans ces conciliabules avec les policiers. » (page 211).
Il n’est plus à sa place. La question de son appartenance cette-fois à la bourgeoisie devient un problème pour lui…
repères à suivre : l'étude : la destinée malheureuse de deux cheminots (Zola, Nizan)