28 Novembre 2013
Repères : thème de la porte : le Bac expliqué à ma fille (feuilleton)
Le 10 octobre 2013, une femme blonde d’âge mûr, élégante dans son manteau de laine de demi-saison gris anthracite, se présenta en compagnie d’autres adultes devant la porte imposante du lycée Guy de Pourtalès. Il était dix-huit heures trente. Cet établissement parisien en briques rouges situé dans le dix-septième arrondissement de Paris les accueillit pour la rituelle réunion de rentrée. Il s’agit toujours pour des parents d’un moment phare de l’année permettant d’apprécier le degré d’exigence des professeurs.
Un peu nerveux, les nouveaux-venus prirent place dans la classe de leur enfant, se regardant les uns les autres avec plus ou moins d’aménité. Après avoir cherché sur des affichettes le numéro de la classe de sa fille unique, en terminale S 5, Marie Loiselet s’assit et attendit le début de la réunion. Délaissant pour un temps l’atmosphère glaciale des parents d’élèves, elle vit défiler les minutes en s’abîmant dans un monologue intérieur :
« Et dire que Victoire est en terminale S ! Je n’en reviens pas moi-même ! Le temps passe si vite et la voilà dans la meilleure des filières ! Ça paie de pousser ses enfants ! La première a été une simple formalité ! Elle a toutes les cartes en main ! Douée comme elle est, elle va réussir son bac !»
Une mère comblée ! Comme bon nombre de parents de ce lycée parisien, la question qui se posait était non celle de savoir si son enfant aurait son bac, mais de quelle manière il l’aurait. Tous souhaitaient à leur progéniture l’obtention de la mention très bien. La mère de Victoire formait comme les autres le même vœu de réussite. Elle fut interrompue dans ses pensées par l’arrivée du professeur principal, Madame Castaldi, professeur de mathématiques.
La cinquantaine affichée, les cheveux poivre et sel, les lunettes sur le nez et l’air sévère, le professeur franchit la porte d’un pas pressé. Elle posa sa sacoche noire d’un cuir usé sur le bureau et se présenta sans détour d’une manière insolite. «Vingt-cinq ans d’enseignement, vingt-cinq ans d’exigence ! » déclara-t-elle tout de go aux parents éberlués. Même si la réputation d’excellence de Madame Castaldi l’avait heureusement précédée, ils en mesuraient aujourd’hui -les yeux grands ouverts- la portée. Ils avaient en face d’eux une femme sèche au ton incisif ; pas de place pour un sourire ou un mot d’humour. Le ton était donné.
« Le niveau de la classe me paraît correct sans plus. J’attends d’eux un travail extrêmement rigoureux qui va se révéler au fil des mois de plus en plus difficile. Je dois vous indiquer que je fais franchir à mes élèves plusieurs portes qui s’ouvriront au fil de l’année en fonction de la complexité ; j'en ai seule la clé. Je ne les ménagerai pas car je les pousse vers l’excellence ; voilà à peu de chose près ce que vous pourrez mesurer à la maison :
De la rentrée à la Toussaint, vos enfants seront noyés sous la quantité de travail que je leur donnerai. Beaucoup pleureront et vous devrez les secouer pour qu’ils restent dans la course qui ne fait que commencer. De la Toussaint à Noël, je ne m’occuperai plus du manuel, je passerai aux exercices de niveau prépa : vos enfants vous paraîtront alors agressifs ; c’est normal, ne vous en alertez pas car au 2ème trimestre, ce sera bien pire, je les plierai sous le poids d’exercices encore plus difficiles. Je les morigènerai s’ils n’y arrivent pas. Ils prendront la porte s’ils ne me donnent pas ce que je leur demande. Avec moi, pas de place pour les simagrées, ça passe ou ça casse. Si cela doit casser, cela se fait en dehors de mon cours, vous comprenez : « Vingt-cinq ans d’enseignement, vingt-cinq ans d’exigence !». A ce stade de l’année, à mi-parcours, vos enfants me détesteront et vous par là même. C’est tout à fait normal ! La difficulté s’accroît tellement ! Enfin, on arrivera dans la dernière ligne droite, je les molesterai et ils n’auront plus la force de me résister. C’est là qu’ils seront les meilleurs, ils me donneront ce que j’attends enfin d’eux. C’est aussi à ce moment, que je les sentirai prêts à passer l’épreuve finale.
Mesdames et Messieurs, vos enfants n’auront pas 12 ou 14 au bac mais entre 18 et 20. C’est à ce prix qu’ils décrocheront leur bac avec la mention TB, le précieux sésame qui ouvre toutes les portes de l’enseignement supérieur. Ils se souviendront toute leur vie de cet effort obtenu contre eux-mêmes. Cependant, j’ai essayé d’être la plus honnête possible, cette année sera sur le plan familial très difficile.
J’en ai fini, avez-vous des questions ? »
Un silence de mort planait sur la classe ; les parents étaient manifestement sous le choc d’un discours annonciateur d’une année de mathématiques placée sous de tels auspices. On les sentit abasourdis et désespérés. Ils n’imaginaient pas toutes les implications familiales de l’entrée en terminale S ; leur enfant avait choisi d'embrasser un véritable sacerdoce.
Ce premier discours annonçait ceux tenus par les enseignants successifs qui développèrent à l’envi leurs propres exigences. A les entendre, l’année à venir s’ouvrait décidément sous le signe du martyr. C’est dans ces conditions que la réunion s’acheva enfin, laissant à tous un goût particulièrement amer. De son côté, Marie Loiselet, le moral au plus bas, refranchit la porte monumentale du lycée en se disant que les choses seraient décidément plus rudes cette année. Tout ceci lui fit un peu peur. Mais sa journée n’était malheureusement pas finie ; elle retrouva vers vingt heures sa fille dans un état d’énervement inconnu…
Repères à suivre : feuilleton : Franchir la porte du lycée lorsqu’on n’en a plus envie