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Analyse-Livres & Culture pour tous

Gazette littéraire

L'homme de l'omnibus de Clapham (3)

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  Repères : thème du langage

                     - le feuilleton : chapitre précédent

 

Résumé : le 9 janvier 1903, William Smith, jeune cocher passionné de mécanique ramène l'omnibus de Clapham tiré par deux chevaux, après avoir achevé son périple quotidien de dix miles entre le centre de Londres et la bourgade de Clapham, située au sud de la Tamise. Témoin de l'évolution sociologique et technologique de son quartier, le jeune garçon a compris que l'arrivée des chemins de fer et bientôt l'extension du métropolitain vouent les hippomobiles à un proche abandon. Par ailleurs, l'industrie automobile, en plein essor, offre des perspectives alléchantes pour William qui compte bien se faire embaucher par un atelier : les ouvriers spécialisés sont si rares. Précisément, une course automobile se prépare le lendemain ; il ne veut sous aucun prétexte la manquer.

***

 

A six heures trente, William se leva et fila au dépôt de Cedars Road où son ami, Michael, était déjà à la peine. Le service du jeune homme ne débutait qu'en soirée. Il profita de l'omnibus pour se faire déposer gratuitement, comme il en avait le droit en sa qualité de conducteur, à la gare de Victoria pour assister au début de la course. Le jour était levé depuis quelques minutes et de nombreuses personnes s'activaient dans les stands. On y voyait divers techniciens en tenue grise qui procédaient aux dernières révisions. D'autres astiquaient le cuivre des avertisseurs sonores et des jantes. Tout devait briller. Les pilotes se voyaient servir du thé avant le départ de la course tandis que des paniers de collation rejoignaient l'arrière des véhicules. Les yeux de William brillaient d'admiration. Poussé par la fièvre qui l'habitait depuis tant d'années, il s'avança et entama des discussions avec des mécaniciens fort occupés, vainement. Durant l'espace d'un instant, il ne cacha pas sa joie à la vue d'un bolide peint en vert : il s'agissait de la fameuse Napier quatre cylindres, soixante chevaux à transmission par arbre, victorieuse de la célèbre course Gordon Bennett de 1902 ! Tout à sa contemplation, il entendit d'une voix légèrement étouffée, qu'on lui demandait une clé à molette. Connaissant sur ce point son affaire, il chercha l'outil dans la trousse et la logea dans la paume de la main de l'homme logé sous le véhicule. Ce dernier finit par sortir, après quelques minutes, le visage sale et la mise en désordre.


Le jeune Lord Rochester, brun à l'allure distinguée, se révéla être un personnage délicieusement excentrique qui ne craignait pas de salir son complet en tweed de Savile Row pour satisfaire sa passion pour la mécanique. Immédiatement la conversation s'engagea avec naturel. Ce qui est bien dans la mécanique, c'est qu'elle peut échapper au contrôle de l'homme ! déclara-t-il à notre jeune William qui n'en perdait pas une miette. Devant son auditoire réduit à la seule présence du jeune cocher, il exposa ensuite le souci mécanique qui le préoccupait. Il ne voulait pas prendre le risque de compromettre son départ et sa participation à l'exposition au Crystal Palace réunissant tous ces merveilleux engins. Conscient également de sa position sociale, Lord Rochester se devait d'être présent à ces deux évènements mondains, incontournables de la saison.   Mais pour l'heure, il n'avait pas de solution. Il montra alors au jeune homme que l'essieu avant, abîmé lors d'un passage à niveau effectué à trop vive allure, accusait une certaine faiblesse. Passionné, William posa des questions pertinentes qui étonnèrent son interlocuteur. La discussion prit un tour plus technique. D'un commun accord, ils aboutirent à la conclusion qu'il fallait renforcer l'essieu avant qu'il ne se brisât tout à fait. Pour William, une soudure suffirait. Habile de ses mains, nourri de théorie pure, il proposa ainsi son aide avec toute l'ardeur de son âge. Il ne restait que quelques minutes avant le départ de la course. Lord Rochester, qui n'avait rien à perdre, accepta l'offre qui lui était faite. En deux temps, trois mouvements, le jeune William se mit à la tâche. Il se surprit du calme avec lequel il prenait les choses en main. C'était la première fois qu'il effectuait une telle réparation. Mais il savait bien au fond de lui-même qu'il avait été un peu présomptueux. Il tenta néanmoins le tout pour le tout. Une chance pareille ne se présenterait pas deux fois. Devant le pari audacieux, il ne put que faire preuve d'ingéniosité. La soudure réalisée sembla faire son office mais nul ne savait jusqu'à quel point...


Impressionné, Lord Rochester proposa d'emmener son apprenti mécanicien durant la course pour l'aider à réparer les avaries souvent nombreuses dans de telles courses. Ravi, William ne se le fit pas dire deux fois et grimpa dans le véhicule, derrière le pilote, lui-même ragaillardi par le miracle opéré sous ses yeux. La fortune souriait décidément aux deux passagers de l'automobile.

 

Au retentissement du coup de révolver, les participants se lancèrent dans un concert de bruit et de fureur. Les klaxons firent leur œuvre pour saluer à leur manière leur départ. Une foule de curieux était massée sur le début du parcours, rangée derrière des barrières de sécurité. William vécut ces premières minutes de course dans une euphorie inouïe. Lui, William Smith, se trouvait à côté d'un jeune lord anglais à bord d'un bolide à moteur ! Incroyable ! Trop beau pour être vrai ! Il n'était plus l'homme de l'omnibus de Clapham ! Il jubilait. Il semblait avoir changé d'époque et de temps. Il regarda la Tamise autrement. Rapidement le véhicule prit sa vitesse de croisière ; William jeta un œil sur son voisin avec ses lunettes de conduite énormes qui mangeaient tout son visage, ses gants de cuir et sa casquette aux bords arrondis, vissée sur le crâne. En habitué des courses, Lord Rochester avait déployé sur ses jambes son plaid à carreaux. Il était concentré sur sa conduite, hurlant à son mécanicien, que tout semblait parfait. Ce fut le cas pendant le premier quart d'heure. Puis, soudainement, un bruit sourd se fit entendre. Le bricolage de fortune de William céda sous le poids de l'effort de la machine et des caprices du revêtement pavé de la route. La voiture se déporta soudainement pour foncer sur une barrière de sécurité. Le choc fut violent. Un bruit fracassant demeura gravé plusieurs années durant dans la mémoire de notre héros. Des cris et des pleurs, puis le décompte tragique : dix personnes étaient grièvement blessées dans la mésaventure ; un corps d'homme gisait là dans une mare de sang. La police arriva et une ambulance finit par être dépêchée sur les lieux. Trop tard. Un père de famille venait de décéder.


Lord Rochester pesta contre l'infortune de sa situation et jeta un regard courroucé à son mécanicien qu'il  jugea -de manière fort commode- responsable de cette stupide avarie qui l'empêchait indûment de finir sa course. Des importuns avaient eu de surcroît le mauvais goût de se trouver sur le passage de sa voiture ! Voilà encore un tracas à régler dont il se serait bien passé ! Il fut interrogé par les policiers. De son côté, William totalement dégrisé par l'accident se sentit pitoyable. Adieu bolide et vitesse...

Il fut également interrogé par les autorités compétentes. Évidemment, les choses ne pouvaient pas en rester là... (suite)

 

  Repères à suivre  : thème du langage

                                     - le feuilleton : l'homme de l'omnibus de Clapham (fin)

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