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Analyse-Livres & Culture pour tous

Gazette littéraire

L'exercice du pouvoir par un tyran (Fénelon)

Repères : thème du pouvoir : représentation dans la littérature

thème du pouvoir dans la littérature

 

Il a été précédemment mis en exergue le rôle du philosophe-roi, cher à Platon.

Il reste à envisager un autre cas de figure, évidemment opposé, avec la présence d'un "tyran".

Définissons le terme qui désigne originellement, l'usurpateur du pouvoir. On ne retient de nos jours que la cruauté dans l'exercice de la fonction, ce qui n'était évidemment pas le sens premier comme nous allons le voir avec un personnage fameux, Denys l'Ancien (431-367 Avt JC).

Présentons-le :

Issu d'une famille pauvre de Sicile, avec l'appui du peuple, il conquiert le pouvoir et instaure une tyrannie. Il fédère les villes siciliennes.

Homme cultivé, il reçoit même Platon à la cour de Syracuse. Ce dernier se lie d’amitié avec Dion, le beau-frère de Denys. Mais cette amitié cessera de plaire au tyran qui chasse le philosophe.

Embarqué de force par des Spartes et laissé dans l'île d'Égine qui est en guerre contre Athènes, Platon sera vendu comme esclave.

Racheté par un homme qui le reconnaît, il reviendra à Athènes et créera la fameuse Académie.

La Gazette met en ligne un extrait d'une œuvre étonnante appelée, Dialogue des Morts, de Fénelon (17ème siècle) qui rassemble Platon et le tyran Denys, tous deux, au royaume des morts...

Un dialogue d'outre-tombe étonnant : deux conceptions du pouvoir s'affrontent...

 

***

"Platon, et Denys Le Tyran.

Un prince ne peut trouver de véritable bonheur et de sûreté que dans l'amour de ses sujets.

 

Denys Le Tyran.

Hé ! Bonjour, Platon. Te voilà comme je t'ai vu en Sicile.

 

Platon.

Pour toi, il s'en faut bien que tu sois ici aussi brillant que sur ton trône.

 

Denys Le Tyran.

Tu n'étais qu'un philosophe chimérique ; ta république n'était qu'un beau songe.

 

Platon.

Ta tyrannie n'a pas été plus solide que ma république ; elle est tombée par terre.

 

Denys Le Tyran.

C'est ton ami Dion qui me trahit.

 

Platon.

C'est toi qui te trahis toi-même. Quand on se fait haïr, on a tout à craindre.

 

Denys Le Tyran.

Mais aussi, que n'en coûte-t-il pas pour se faire aimer ! Il faut contenter les autres. Ne vaut-il pas mieux se contenter soi-même au hasard d'être haï ?

Platon.

Quand on se fait haïr pour contenter ses passions, on a autant d'ennemis que de sujets, on n'est jamais en sûreté. Dis-moi la vérité, dormais-tu en repos ?

 

Denys Le Tyran.

Non, je l'avoue. C'est que je n' avais pas encore fait mourir assez de gens.

 

Platon.

Hé ! Ne vois-tu pas que la mort des uns t'attirait la haine des autres ? Que ceux qui voyaient massacrer leurs voisins attendaient de périr à leur tour, et ne pouvaient se sauver qu'en te prévenant ? Il faut, ou tuer jusqu'au dernier des citoyens, ou abandonner la rigueur des peines pour tâcher de se faire aimer.

Quand les peuples vous aiment, vous n'avez plus besoin de gardes ; vous êtes au milieu de votre peuple comme un père qui ne craint rien au milieu de ses propres enfants.

 

Denys Le Tyran.

Je me souviens que tu me disais toutes ces raisons quand je fus sur le point de quitter la tyrannie pour être ton disciple ; mais un flatteur m'en empêcha. Il faut avouer qu'il est bien difficile de renoncer à la puissance souveraine.

 

Platon.

N'aurait-il pas mieux valu la quitter volontairement pour être philosophe, que d'en être honteusement dépossédé pour aller gagner sa vie à Corinthe par le métier de maître d'école ?

 

Denys Le Tyran.

Mais je ne prévoyais pas qu'on me chasserait.

 

Platon.

Hé ! Comment pouvais-tu espérer de demeurer le maître en un lieu où tu avais mis tout le monde dans la nécessité de te perdre pour éviter ta cruauté ?

 

Denys Le Tyran.

J'espérais qu'on n'oserait jamais m'attaquer.

 

Platon.

Quand les hommes risquent davantage en vous laissant vivre qu'en vous attaquant, il s'en trouve toujours qui vous préviennent : vos propres gardes ne peuvent assurer leur vie qu'en vous arrachant la vôtre. Mais parle-moi franchement, n'as-tu pas vécu avec plus de douceur dans ta pauvreté de Corinthe que dans ta splendeur de Syracuse ?

 

Denys Le Tyran.

Il est vrai : à Corinthe, le maître d'école mangeait et dormait assez bien ; le tyran à Syracuse avait toujours des craintes et des défiances ; il fallait égorger quelqu'un, ravir les trésors, faire des conquêtes ; les plaisirs n'étaient plus plaisirs, ils étaient usés pour moi, et ne laissaient pas de m'agiter avec trop de violence. Dis-moi aussi, philosophe, te trouvais-tu bien malheureux quand je te fis vendre ?

 

Platon.

J'avais dans l'esclavage le même repos que tu goûtais à Corinthe, avec cette différence, que j'avais le bonheur de souffrir pour la vertu par l'injustice du tyran, et que tu étais le tyran honteusement dépossédé de sa tyrannie.

 

Denys Le Tyran.

Va, je ne gagne rien à disputer contre toi ; si jamais je retourne au monde, je choisirai une condition privée, ou bien je me ferai aimer par le peuple que je gouvernerai."

Dialogue des Morts, dialogue 23, Fénelon,

http://fr.wikisource.org/wiki/Dialogues_des_morts/Dialogue_23

 

Repères à suivre : thème du pouvoir : le pouvoir contesté (Suétone)

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L
<br /> Jepense en effet qu'il vaut mieux rentrer dans l'enseignement que de se faire assassin ... mais c'est juste un point de vue !<br /> <br /> <br /> http://maisondeliza.over-blog.fr<br />
Répondre
L
<br /> <br /> Lorsque la tyrannie tourne mal...<br /> <br /> <br /> <br />