9 Janvier 2012
Repères : thème du pouvoir : représentation dans la littérature
Dans le cadre de cette introduction évidemment non exhaustive, la Gazette ne pouvait éluder le rôle d'un personnage-clé du XIXème siècle, poète de son état avant de devenir un homme politique d'importance.
Il s'agit d'Alphonse de Lamartine.
Issu de l'aristocratie proche du monarchisme, ce dernier comprit progressivement qu'un monde nouveau s'était ouvert après l'ère révolutionnaire. Il évolua jusqu'à se distinguer de ses pairs en devenant un républicain libéral.
Compte tenu du rôle politique du poète, il lui sera consacré deux articles successifs bien différents pour tenter de cerner ce personnage.
Aujourd'hui, il ne sera "seulement" question que de montrer comment l'œuvre s'insère dans un projet politique : l'extrait du poème créé en 1830 est intitulé « Les Révolutions ».
Vous serez surpris par la prise à partie de l'Occident appelé à prendre son destin ...en main.
Tout un programme !
***
I
Quand l'Arabe altéré, dont le puits n'a plus d'onde,
A plié le matin sa tente vagabonde
Et suspendu la source aux flancs de ses chameaux,
Il salue en partant la citerne tarie,
Et, sans se retourner, va chercher la patrie
Où le désert cache ses eaux.
Que lui fait qu'au couchant le vent de feu se lève
Et, comme un océan qui laboure la grève,
Comble derrière lui l'ornière de ses pas,
Suspende la montagne où courait la vallée,
Ou sème en flots durcis la dune amoncelée?
Il marche, et ne repasse pas.
Mais vous, peuples assis de l'Occident stupide,
Hommes pétrifiés dans votre orgueil timide,
Partout où le hasard sème vos tourbillons
Vous germez comme un gland sur vos sombres collines,
Vous poussez dans le roc vos stériles racines,
Vous végétez sur vos sillons!
(...)
En vain la mort vous suit et décime sa proie;
En vain le Temps, qui rit de vos Babels, les broie,
Sous son pas éternel insectes endormis;
En vain ce laboureur irrité les renverse,
Ou, secouant le pied, les sème et les disperse
Comme des palais de fourmis;
Vous les rebâtissez toujours, toujours de même!
Toujours dans votre esprit vous lancez anathème
A qui les touchera dans la postérité;
Et toujours en traçant ces précaires demeures,
Hommes aux mains de neige et qui fondez aux heures,
Vous parlez d'immortalité!
Et qu'un siècle chancelle ou qu'une pierre tombe,
Que Socrate vous jette un secret de sa tombe,
Que le Christ lègue au monde un ciel dans son adieu :
Vous vengez par le fer le mensonge qui règne,
Et chaque vérité nouvelle ici-bas saigne
Du sang d'un prophète ou d'un Dieu!
De vos yeux assoupis vous aimez les écailles :
Semblables au guerrier armé pour les batailles
Mais qui dort enivré de ses songes épais,
Si quelque voix soudaine éclate à votre oreille,
Vous frappez, vous tuez celui qui vous réveille,
Car vous voulez dormir en paix!
Mais ce n'est pas ainsi que le Dieu qui vous somme
Entend la destinée et les phases de l'homme;
Ce n'est pas le chemin que son doigt vous écrit!
En vain le cœur vous manque et votre pied se lasse :
Dans l’œuvre du Très-Haut le repos n'a pas place;
Son esprit n'est pas votre esprit!
« Marche! » Sa voix le dit à la nature entière.
Ce n'est pas pour croupir sur ces champs de lumière
Que le soleil s'allume et s'éteint dans ses mains!
Dans cette œuvre de vie où son âme palpite,
Tout respire, tout croit, tout grandit, tout gravite :
Les cieux, les astres, les humains!
L’œuvre toujours finie et toujours commencée
Manifeste à jamais l'éternelle pensée :
Chaque halte pour Dieu n'est qu'un point de départ.
Gravissant l'infini qui toujours le domine,
Plus il s'élève, et plus la volonté divine
S'élargit avec son regard!
(...)
Et vous, qui ne pouvez défendre un pied de grève,
Dérober une feuille au souffle qui l'enlève,
Prolonger d'un rayon ces orbes éclatants,
Ni dans son sablier, qui coule intarissable,
Ralentir d'un moment, d'un jour, d'un grain de sable,
La chute éternelle du temps;
Sous vos pieds chancelants si quelque caillou roule,
Si quelque peuple meurt, si quelque trône croule,
Si l'aile d'un vieux siècle emporte ses débris,
Si de votre alphabet quelque lettre s'efface,
Si d'un insecte à l'autre un brin de paille passe,
Le ciel s'ébranle de vos cris! (...)
Harmonies poétiques et religieuses, livre 4, Les Révolutions, Lamartine (1830)
http://fr.wikisource.org/wiki/Les_R%C3%A9volutions
Repères à suivre : thème du pouvoir : l'exercice du pouvoir par Lamartine