Analyse-Livres & Culture pour tous
23 Octobre 2013
Résumé : Il a été indiqué dans l'article précédent que la librairie du 84 Charing Cross Road affiche sa spécialisation dans les livres anciens et les expédiaient par correspondance dans le monde entier alors que la librairie Au bon roman s'est constituée sur l'idée de ne vendre que les « meilleurs » romans, avec un certain nombres d'auteurs classiques, en constituant un catalogue d'œuvres. Les deux librairies doivent mettre au point des stratégies savantes pour dénicher les livres. Il reste à découvrir les opérations et pratiques commerciales qui leur sont propres...
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Il sera mis en exergue la simplicité des pratiques commerciales de la boutique du 84 Charing Cross Road alors que celle du Bon Roman déploie, au contraire, de savantes stratégies pour se faire connaître...
De la simplicité des relations commerciales au 84 Charing Cross
Les pratiques commerciales de la librairie du 84 Charing Cross Road sont simples ; elles reposent sur une stricte comptabilité. Chaque commande doit être accompagnée d'un acompte qui figure dans un compte client. Les règlements s'effectuent par mandat. Il n'y a bien que la fantaisiste Helene Hanff pour refuser ce mode de paiement. Durant vingt ans, elle adressera ses paiements en liquide : «J'ai une confiance absolue dans la poste américaine et dans le service postal de Sa majesté.» (page 13)
En dépit de ce fait, elle se verra donner des factures joignant le détail d'une comptabilité précise. Tout s'effectue dans une transparence stricte et dans une simplicité totale.
Nous verrons les savantes opérations de lancement de la librairie Au bon Roman avant de découvrir ses pratiques commerciales qui vont conduire à un véritable déferlement de haine...
Le lancement de la librairie s'effectue en fanfare (page 180), en respectant un plan média précis (publicités dans la presse et interviews à la radio et à la télévision). Des slogans percutants sont élaborés : « Au bon roman sont les bons romans » « les livres dont personne ne parle » (page 218). L'enseigne du magasin n'est accrochée que la veille de l'ouverture dans la nuit pour jouer sur l'effet de surprise. Des moyens financiers considérables sont dépensés pour susciter la curiosité. Il s'avère que cette stratégie est payante : le succès immédiat repose sur l'originalité indéniable du concept.
Pour accroître le prestige de la librairie, on publie un bulletin quotidien en ligne dont la qualité est remarquée. On crée des cartes de fidélité, des abonnements de lecture etc... Le Bon Roman devient rapidement la place la plus courue de tout Paris. Les ventes d'ouvrages décollent en trois mois. Le succès semble garanti mais les deux initiateurs du projet ont pris un risque financier en refusant le critère exclusif de la nouveauté. Sur le plan du chiffre d'affaires, on note que les dernières parutions représentent communément pour une librairie 80% de ses ventes. Mais nos puristes n'en ont eu cure ; ils n'ont pas voulu entrer dans le modèle économique des librairies ordinaires. Ils ont refusé même la technique des offices et les facilités de paiement à quatre-vingt dix jours fin de mois (page 198). Cette stratégie leur sera reprochée. Ils en paieront le prix fort...
Un déferlement de haine
Ce succès va rapidement susciter de nombreuses jalousies : des actes malfaisants vont surgir ça et là, des provocations vont être mise en œuvre pour tenter de prendre la librairie en défaut. Pour ce faire, il suffit à des clients mal intentionnés de commander un best-seller qui ne figure évidemment pas dans le catalogue. Pour éviter d'être poursuivi pour refus de vente, Ivan a bien compris qu'il doit s'engager à commander des « mauvais »romans.
Cela ne suffira pas à calmer les ardeurs des jaloux issus des milieux littéraires (écrivains critiques,éditeurs) : on notera dans ce roman une féroce critique du microcosme du livre...C'est ainsi qu'une véritable campagne de presse va s'orchestrer contre ce projet élitiste et « fasciste » (page 256). c'est avec effarement que les fondateurs de la librairie peuvent lire dans un journal ce qui suit :
« Des individus qui prennent soin de taire leur identité, s'arrogent le droit de décider pour tous quels sont les grand romans, et pis, de décider pour tous quels sont les grands romans, et d'écarter les livres, beaucoup plus nombreux, qui ne leur agréent pas (…) Qu'est-ce que veut dire, bon roman ? Qui sont ces kapos qui ont le culot d'apposer ou non sur les livres leur certificat de qualité ? » (page 254)
Pour un certain nombre, la liste du comité secret est devenu un enjeu crucial. Tous les moyens sont bons pour découvrir les huit prescripteurs de bons romans. Les membres du comité dont le nom finira par être révélé seront menacés physiquement ; les temps sont durs au Bon Roman. Mais le pire est à venir ; le glas a sonné lorsque des librairies concurrentes vont s'implanter à ses côtés en faisant chuter ses ventes, le nerf de la guerre. La bataille du bon roman est-elle totalement perdue ? Elle se poursuivra sur une forme coopérative...
repères à suivre : la création d'un mythe : une librairie idéale ? (Helene Hanff/Laurence Cossé)