6 Mai 2012
Des tensions dans la fratrie
(repères : thème de la fratrie : introduction)
Les relations dans la fratrie peuvent conduire également à des tensions, à des mises au point lorsqu'il ne s'agit pas de disputes. La proximité relationnelle explique en effet qu'il soit nécessaire parfois de clarifier les choses.
Les auteurs n'ont, sur ce point, rien de différents avec les hommes du commun. La littérature a à nous offrir un certain nombre d'illustrations sur ce point.
Prenons aujourd'hui le cas d'un écrivain célèbre qui écrit une lettre à son frère, abbé.
Il ne s'agit pas d'une lettre banale, mais d'une mise au point philosophique qui comprend des accents d'affection qu'il faut souligner. Le sujet de la remontrance ? La question épineuse de la liberté religieuse qui au 18ème siècle n'allait pas de soi.
Voilà une correspondance exceptionnelle entre deux frères !
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"LETTRE À MON FRÈRE
Du 29 décembre 1760
Voilà, cher frère, ce que les chrétiens faibles et persécutés disaient aux idolâtres qui les traînaient aux pieds de leurs autels.
Il est impie d’exposer la religion aux imputations odieuses de tyrannie, de dureté, d’injustice, d’insociabilité, même dans le dessein d’y ramener ceux qui s’en seraient malheureusement écartés.
L’esprit ne peut acquiescer qu’à ce qui lui paraît vrai ; le cœur ne peut aimer que ce qui lui semble bon. La contrainte fera de l’homme un hypocrite s’il est faible, un martyr s’il est courageux. Faible ou courageux, il sentira l’injustice de la persécution, et il s’en indignera.
L’instruction, la persuasion et la prière, voilà les seuls moyens d’étendre la religion.
Tout moyen qui excite la haine, l’indignation et le mépris est impie.
Tout moyen qui réveille les passions et qui tient à des vues intéressées est impie.
Tout moyen qui relâche les liens naturels et éloigne les pères des enfants, les frères des frères et les sœurs des sœurs, est impie.
Tout moyen qui tendrait à soulever les hommes, à armer les nations et à tremper la terre de sang, est impie.
Il est impie de vouloir imposer des lois à la conscience, règle universelle des actions. Il faut l’éclairer et non la contraindre.
Les hommes qui se trompent de bonne foi sont à plaindre, jamais à punir.
Il ne faut tourmenter ni les hommes de bonne foi ni les hommes de mauvaise foi, mais en abandonner le jugement à Dieu.
(…)
Quelle est la voix de l’humanité ? Est-ce celle du persécuteur qui frappe, ou celle du persécuté qui se plaint ?
Si un prince infidèle a un droit incontestable à l’obéissance de son sujet, un sujet mécroyant a un droit incontestable à la protection de son prince : c’est une obligation réciproque.
Si l’autorité sévit contre un particulier dont la conduite obscure ne signifie rien, que le fanatisme n’entreprendra-t-il pas contre un souverain dont l’exemple est si puissant ?
La charité ordonne-t-elle de tourmenter les petits et d’épargner les grands ?
Si le prince dit que le sujet mécroyant est indigne de vivre, n’est-il pas à craindre que le sujet ne dise que le prince mécroyant est indigne de régner ?
Voyez les suites de vos principes, et frémissez-en.
Voilà, cher frère, quelques idées que j’ai recueillies, et que je vous envoie pour vos étrennes. Méditez-les, et vous abdiquerez un système atroce qui ne convient ni à la droiture de votre esprit, ni à la bonté de votre cœur.
Opérez votre salut, priez pour le mien, et croyez que tout ce que vous vous permettrez au delà est d’une injustice abominable aux yeux de Dieu et des hommes."
Lettre à mon frère, Diderot (1760)
http://fr.wikisource.org/wiki/Lettre_%C3%A0_mon_fr%C3%A8re
Repères à suivre : introduction : interdépendance familiale