8 Novembre 2011
La Gazette met, aujourd'hui, à l'honneur un poème de Baudelaire rendant hommage à la peinture, Les Phares, Spleen et idéal, dans le recueil les Fleurs du Mal.
Repères à suivre : thème de l'Art
La Gazette littéraire propose durant tout le mois de novembre 2011 d'établir le lien entre la Littérature et les Beaux-Arts au travers d'une présentation sous forme d'anthologie, suivant la progression suivante :
La littérature n'est pas toujours focalisé sur elle-même. Elle a rendu hommage à des artistes qui exerçaient dans d'autres domaines que l'écriture. La Gazette met, aujourd'hui, à l'honneur un poème de Baudelaire rendant hommage à la peinture.
Il s'agit d'une œuvre qui s'intitule : les phares de Baudelaire.
Une invitation à un voyage sur les flots ? Nullement !
Pourquoi alors l'auteur a-t-il choisi ce titre au caractère marin ?
Le poète magnifie le travail de ces maîtres peintres qui ont ouvert tant la voie à la découverte du Beau. Un vibrant éloge.
LES PHARES
Rubens, fleuve d’oubli, jardin de la paresse,
Oreiller de chair fraîche où l’on ne peut aimer,
Mais où la vie afflue et s’agite sans cesse,
Comme l’air dans le ciel et la mer dans la mer ;
Léonard de Vinci, miroir profond et sombre,
Où des anges charmants, avec un doux souris
Tout chargé de mystère, apparaissent à l’ombre
Des glaciers et des pins qui ferment leur pays ;
Rembrandt, triste hôpital tout rempli de murmures,
Et d’un grand crucifix décoré seulement,
Où la prière en pleurs s’exhale des ordures,
Et d’un rayon d’hiver traversé brusquement ;
Michel-Ange, lieu vague où l’on voit des Hercules
Se mêler à des Christs, et se lever tout droits
Des fantômes puissants qui dans les crépuscules
Déchirent leur suaire en étirant leurs doigts ;
Colères de boxeur, impudences de faune,
Toi qui sus ramasser la beauté des goujats,
Grand cœur gonflé d’orgueil, homme débile et jaune,
Puget, mélancolique empereur des forçats ;
Watteau, ce carnaval où bien des cœurs illustres,
Comme des papillons, errent en flamboyant,
Décors frais et léger éclairés par des lustres
Qui versent la folie à ce bal tournoyant ;
Goya, cauchemar plein de choses inconnues,
De fœtus qu’on fait cuire au milieu des sabbats,
De vieilles au miroir et d’enfants toutes nues,
Pour tenter les démons ajustant bien leurs bas ;
Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges,
Ombragé par un bois de sapins toujours vert,
Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges
Passent, comme un soupir étouffé de Weber ;
Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes,
Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum,
Sont un écho redit par mille labyrinthes ;
C’est pour les cœurs mortels un divin opium !
C’est un cri répété par mille sentinelles,
Un ordre renvoyé par mille porte-voix ;
C’est un phare allumé sur mille citadelles,
Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois !
Car c’est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage
Que nous puissions donner de notre dignité
Que cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge
Et vient mourir au bord de votre éternité !
Baudelaire, Les Phares, Spleen et idéal, les Fleurs du Mal,
https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Phares
Repères à suivre : hommages aux peintres (2)