21 Novembre 2012
Repères : thème du pont : l'étude
Dans l'article précédent, il a été indiqué que le chantier est soumis à une autre organisation sous l'impulsion des architectes. Mais la nouvelle manière de fonctionner sur le chantier déstabilise les ouvriers qui n'envisagent pas un avenir commun...
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Un vrai travail d'équipe se met rapidement en place sur le chantier. Les ouvrières se forment à une tâche délicate, à la taille des pierres. Les blocs de calcaire sont ensuite brossés, puis confiés aux ajusteurs façonnant le matériau avec minutie. Le « puzzle » se met en place pièce après pièce (page 179). Le point d'orgue des travaux concerne son arche ; cette dernière est totalement atypique puisque la moitié est en pierre et l'autre en olivier. Ce bois noble et hautement symbolique doit être travaillé savamment pour s'emboiter parfaitement avec la partie en calcaire. On cherche partout à connaître les cotes manquantes pour réaliser ce chef d'œuvre. On apprend alors l'existence d'un homme curieux aux abords du chantier qui fait montre d'une habilité prodigieuse avec le bois : Schwara s'avère rapidement être le seul homme à connaître la clé du mystère du pont. Mais obsédé par sa quête du jeune homme blessé, il est lui-même une énigme ; il répugne à évoquer le passé pour satisfaire la curiosité des architectes.
La reconstruction est bien avancée...
La taille de la pierre, travail d'orfèvre, fascine Irini qui se sent pleinement investie sur le chantier. La beauté du matériau la bouleverse intimement. Le pont finit même par prendre corps sous ses propres doigts. Il vit, elle le sent. L'ouvrage d'art l'arrache du mal qui ronge durablement son être :
« Le pont de Ran-Mositar avait un cœur qui battait. Elle se redressa, le feu aux joues, comme prise en faute. Le pont ne devait pas lui dicter ce qu'elle avait à faire, les forces qui lui commandaient d'agir pour sauver sa fille étaient de l'ordre du droit et de la raison, pas de l'émotion. Elle s'arracha à la fascination des pierres (...) » (page 240) La beauté de l'architecture du pont ne peut la détourner de la vengeance ravivée sur le site. Elle a reconnu sur le chantier l'agresseur de sa fille...
Schwara a lui aussi trouvé sur le chantier l'homme qu'il cherchait : son fils. Mais connaissant la nature des actes que ce dernier a commis durant le conflit, il décide de ne pas intervenir pour le soustraire à la mort. Un choix qu'il explique de manière tragique :
« Je ne pouvais rien pour lui, sauf être là quand il allait mourir. C'est lui qui a convoqué son destin, il en est responsable. Victime, c'est mieux que bourreau pour son âme. » (page 260)
Pour autant, son ancienne vie de maître-compagnon ne peut plus reprendre comme avant. Il laisse ainsi derrière lui ses outils à bois pour ne plus jamais s'en servir. « Le monde est illisible »...
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Après avoir abordé le thème de la réunification autour du relèvement d'un pont d'un peuple meurtri par des haines interconfessionnelles en Europe de l'Est, nous changerons de décor et partirons à la découverte d'un ouvrage d'art immense, situé sur la côte californienne.
Repères à suivre : l'étude : Genèse d'un projet (M. de Kerangal)