27 Juillet 2011
La Gazette vous propose de découvrir deux drôles d'horticulteurs, Bouvard et Pécuchet, qui, sous la plume de Flaubert, prêtent à sourire.
Repères : thème des 4 éléments : la terre
Après avoir exploré la littérature au fil de l'eau, poursuivons notre quête en nous intéressant à l'élément terrestre :
La Terre peut être généreuse, mais avec des mains expertes.
Elle peut être impitoyablement "ingrate" avec des néophytes.
Prenez par exemple deux aimables retraités qui se lancent pour la première fois de leur vie dans l'horticulture.
La récolte n'est pas à la hauteur de leurs efforts : mais qu'importe !
"Il eut la précaution pour les boutures d’enlever les têtes avec les feuilles. Ensuite, il s’appliquaaux marcottages. Il essaya plusieurs sortes de greffes, greffes en flûte, en couronne, en écusson, greffe herbacée, greffe anglaise. Avec quel soin il ajustait les deux libers ! comme il serrait les ligatures ! Quel amas d’onguent pour les recouvrir !
Deux fois par jour, il prenait son arrosoir et le balançait sur les plantes, comme s’il les eût encensées. À mesure qu’elles verdissaient sous l’eau qui tombait en pluie fine, il lui semblait se désaltérer et renaître avec elles. Puis, cédant à une ivresse, il arrachait la pomme de l’arrosoir et versait à plein goulot, copieusement.
Au bout de la charmille, près de la dame en plâtre, s’élevait une manière de cahute faite en rondins. Pécuchet y enfermait ses instruments, et il passait là des heures délicieuses à éplucher les graines, à écrire les étiquettes, à mettre en ordre ses petits pots. Pour se reposer, il s’asseyait devant la porte, sur une caisse, et alors projetait des embellissements.
Il avait créé au bas du perron deux corbeilles de géraniums ; entre les cyprès et les quenouilles, il planta des tournesols ; et comme les plates-bandes étaient couvertes de boutons d’or, et toutes les allées de sable neuf, le jardin éblouissait par une abondance de couleurs jaunes.
Mais la couche fourmilla de larves ; malgré les réchauds de feuilles mortes, sous les châssis peints et sous les cloches barbouillées, il ne poussa que des végétations rachitiques. Les boutures ne reprirent pas, les greffes se décollèrent, la sève des marcottes s’arrêta, les arbres avaient le blanc dans leurs racines ; les semis furent une désolation. Le vent s’amusait à jeter bas les rames des haricots. L’abondance de la gadoue nuisit aux fraisiers, le défaut de pinçage aux tomates.
Il manqua les brocolis, les aubergines, les navets, et du cresson de fontaine, qu’il avait voulu élever dans un baquet. Après le dégel, tous les artichauts étaient perdus. Les choux le consolèrent. Un, surtout, lui donna des espérances. Il s’épanouissait, montait, finit par être prodigieux et absolument incomestible. N’importe, Pécuchet fut content de posséder un monstre.(...)"
Flaubert, Bouvard et Pécuchet, œuvre inachevée posthume
https://fr.wikisource.org/wiki/Bouvard_et_P%C3%A9cuchet/Chapitre_II
repères à suivre : le théâtre du monde