29 Novembre 2012
Repères : thème du pont : le feuilleton
Résumé : Madeleine Ponteau, riche septuagénaire belge décide d'organiser sa vie en deux temps, la saison hivernale à Bruxelles au Royal Grand Hôtel, l'été à l'hôtel Majestic sur les bords du lac de Côme. En cet automne 1939, notre héroïne, fantasque et capricieuse, arrive dans sa suite du Palace bruxellois, bien décidée à profiter de la saison des spectacles. Ce n'est pas les tourments de l'histoire qui va bouleverser l'ordonnancement de ses moindres souhaits sur le pont des plaisirs, comme elle aime à le dire. Sur le pont des désirs, on y danse, on y danse....Elle en oublie les orages de l'histoire qui se rappellent pourtant à elle le 10 mai 1940 : la Belgique est envahie par les Allemands. Cette donnée l'oblige à ajourner son séjour en Italie. Mais les choses vont prendre un autre tour pour notre héroïne du fait de l'occupation de la Belgique par les troupes allemandes...
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La situation dès le mois de juillet 1940 fit surgir des sentiments qui rendirent Madeleine Ponteau triplement triste.
Elle demeurait loin des considérations économiques ou sociales que nourrissait le spectacle d'une Europe occupée. Elle ne voyait la guerre qu'à l'aune de ses petits désirs. Non seulement, elle ne pouvait plus librement séjourner en Italie mais de surcroît ses concerts et ses spectacles à Bruxelles se faisaient plus rares. Tout le monde attendait de connaître le règlement de son sort. Mais, seule, la vieille dame se trouvait marrie de voir ternie la fête permanente à laquelle elle avait été habituée sur le pont de ses désirs.
Son deuxième sujet de tristesse concernait le traitement qu'on lui réservait désormais au sein de l'établissement. Rapidement, les attentions sous forme de douceurs et de fleurs s'arrêtèrent du fait de la soudaine pénurie qui sévit. Elle finit par accepter ces changements, non sans regrets. Elle aimait tant à être gâtée. Mais ce qui la chagrinait le plus fut de constater la perte d'intérêt aux yeux du personnel. La majorité des hommes avaient disparu des effectifs de l'hôtel suite à leur enrôlement militaire. Beaucoup furent faits prisonniers. Mais la vieille dame n'en eu cure, elle ne voyait pas pourquoi son traitement avait perdu de son éclat. Restaient les femmes qui étaient bien plus préoccupées par la survie de leur propre famille que par la satisfaction des petits désirs d'une vielle femme capricieuse. La guerre avait fait naître un certain relâchement dans le service.
Même Vivien de Clerck ne semblait plus autant disponible à son égard. «Je n'ai plus le temps malheureusement ! » lui avait-il dit de manière presque rude. Du point de vue de la vieille dame, il ne respectait plus les trois « d » auquel elle tenait tant. Sa distinction ne lui paraissait plus aussi manifeste lorsqu'elle le voyait toujours en mouvement comme un vulgaire commerçant. Sa discrétion n'était plus aussi élogieuse lorsqu'il refusait ostensiblement des clients qui ne payaient pas d'avance leur chambre. La guerre avait émoussé la confiance. Enfin, la distance semblait abolie entre les clients et le personnel de plus en plus négligeant.
À ce malheur s'ajoutèrent les tracasseries que la direction osa lui fait subir. Son troisième sujet de tristesse ! On lui porta sa note avec la mention du paiement immédiat en liquide. Un sous-fifre avait même osé lui faire un rappel. Du jamais vu pour cette digne pensionnaire ! Elle expliqua que sa dernière facture n'avait pas été honorée compte tenu de la désorganisation parfaite des établissements bancaires. Ces derniers essayaient en effet de faire sortir leurs dépôts en Amérique plutôt que d'assurer le règlement des opérations courantes. Cela ne provoqua aucune émotion tangible à la comptabilité. On avait besoin de liquidité pour assurer le ravitaillement de l'hôtel. Il fallait qu'elle s'acquitte de sa facture sans délai.
Le directeur de Clerck intervint personnellement et lui fit comprendre qu'elle ne pouvait demeurer dans sa suite de prestige, en l'absence de tout paiement. "Par amitié", comme il le disait, il lui proposa de la loger plus modestement à l'hôtel. Nul ne savait s'il la conservait dans les murs par charité ou par intérêt. Elle devint bien un peu l'otage de la direction. On la logea au premier étage dans une toute petite chambre sur cour. La pensionnaire s'en offusqua, mais le directeur ne manqua pas de la rabrouer. Il avait en mémoire toutes les humiliations subies durant ces années. Il n'avait plus de raison de la ménager. Elle était dans sa main...
Une première pour Madeleine Ponteau qui perdait tous les repères qu'elle aimait. Elle n'emprunterait plus le pont des désirs dans le cruel état de nécessité dans lequel elle se trouvait...L'hôtel cloîtrait tout bonnement la vieille dame qui se mit alors à perdre un peu la tête...
Repères à suivre : le feuilleton : sur le pont des désirs, on y danse...