Analyse-Livres & Culture pour tous
10 Mars 2011
Le bibliophile est un voyageur qui s'ignore comme le prouve un des poèmes les plus célèbres de Baudelaire, La Voix, avec cette référence mythique ; "la bibliothèque/Babel sombre"
Repères : thème du livre : présentation
Pénétrons enfin dans le monde des amateurs de livres !
Mais comment comprendre le goût pour la lecture ?
Pour certains, il s'agit d'une perte de temps, de l'oisiveté malsaine par les temps qui courent...
Pour d'autres, le "bibliophage" serait mû par une curiosité insatiable...
Et si l'explication se trouvait à portée de main ? Le lecteur assidu a soif d'évasion.
Lisons le célèbre poème de Baudelaire avec cette référence mythique : "la bibliothèque,/Babel sombre" qui évoque la densité de livres.
Avec la Voix, c'est également le mystère de la lecture qui est enfin dévoilé...
Le bibliophile est un voyageur qui s'ignore !
La Voix
Mon berceau s’adossait à la bibliothèque,
Babel sombre, où roman, science, fabliau,
Tout, la cendre latine et la poussière grecque,
Se mêlaient. J’étais haut comme un in-folio.
Deux voix me parlaient. L’une, insidieuse et ferme,
Disait : « La Terre est un gâteau plein de douceur ;
Je puis (et ton plaisir serait alors sans terme !)
Te faire un appétit d’une égale grosseur. »
Et l’autre : « Viens ! oh ! viens voyager dans les rêves,
Au delà du possible, au delà du connu ! »
Et celle-là chantait comme le vent des grèves,
Fantôme vagissant, on ne sait d’où venu,
Qui caresse l’oreille et cependant l’effraie.
Je te répondis : « Oui ! douce voix ! » C’est d’alors
Que date ce qu’on peut, hélas ! nommer ma plaie
Et ma fatalité. Derrière les décors
De l’existence immense, au plus noir de l’abîme,
Je vois distinctement des mondes singuliers,
Et, de ma clairvoyance extatique victime,
Je traîne des serpents qui mordent mes souliers.
Et c’est depuis ce temps que, pareil aux prophètes,
J’aime si tendrement le désert et la mer ;
Que je ris dans les deuils et pleure dans les fêtes,
Et trouve un goût suave au vin le plus amer ;
Que je prends très-souvent les faits pour des mensonges,
Et que, les yeux au ciel, je tombe dans des trous.
Mais la Voix me console et dit : « Garde tes songes ;
Les sages n’en ont pas d’aussi beaux que les fous ! »
Spleen et Ideal, Les fleurs du mal, Baudelaire (éd.1868)