16 Juillet 2012
L'abandon de Didon par Enée
(Repères : Carnet de voyage : Tunisie)
Quittons le Maroc pour nous établir un temps en Tunisie.
La Gazette Littéraire a choisi de se fixer à Carthage au Nord-Est de Tunis.
Découvrons cette ville mythique en compagnie d'un jeune héros troyen, Enée. Ce dernier séduit la reine Didon qui, elle-même, a rompu les vœux de fidélité avec son premier époux. L'idylle ne va pourtant pas durer...
Obéissant aux ordres divins, Enée l'abandonnera lâchement pour reprendre son périple qui l'amènera au latium, lieux de la fondation de la ville de Rome.
Dépitée par le départ de l'homme qu'elle aime, la reine de Carthage se donnera la mort. Cet épisode a été mis en
musique notamment par Purcell dont l'extrait final vous sera proposé :
***
"La reine, du haut des tours, voit la lumière blanchir, et les nefs de Pergame s’éloigner d’un cours triomphant ; » elle voit, spectacle affreux ! la plage au loin muette, le port solitaire. Alors, d’une main forcenée, vingt fois meurtrissant son beau sein, vingt fois arrachant l’or de ses longs cheveux : « Grand Jupiter, il partira ! s’écrie-t-elle ; c’est dans mon empire même qu’un vil transfuge aura pu m’outrager ! Et mes sujets ne courront point aux armes ? et Carthage toute entière ne poursuivra point le traître ? et mes navires conjurés ne l’atteindront point sur les eaux ! Allez, volez, qu’attendez-vous ? des torches ! des voiles ! des rameurs !… Que dis-je ? où suis-je ? quelle démence égare mes esprits ? (…)
Mais Didon, frémissante, et livrée toute entière aux furies qui la possèdent ; Didon, roulant des yeux sanglans, les joues tremblantes et semées de taches livides, le front déjà couvert de la pâleur de la mort ; Didon franchit brusquement les profondeurs du palais, s’élance d’un air hagard au sommet du bûcher, et tire le glaive du héros, ce glaive, présent, hélas ! qu’elle offrit pour d’autres usages ! Là, ces vêtemens troyens, et ce lit trop connu, fixent quelque temps ses regards moins farouches ; quelque temps elle s’arrête, pensive et noyée dans ses pleurs : puis s’inclinant sur la couche fatale, elle prononce ces dernières paroles : « Dépouilles chéries naguères, tant que l’ont permis les destins et les dieux ! recevez mon âme éperdue, et délivrez-moi des tourmens qui m’oppressent. J’ai vécu ; j’ai fourni la carrière que m’avait marquée la Fortune ; et mon ombre descendra du moins avec gloire au ténébreux empire. J’ai posé les fondemens d’une cité puissante ; j’ai vu ses remparts s’élever sous mes yeux ; j’ai vengé mon époux ; j’ai puni mon barbare frère : heureuse, hélas ! trop heureuse, si jamais les vaisseaux phrygiens n’eussent touché ces rivages ! » Elle dit ; et pressant de ses lèvres le lit funéraire : Quoi, mourir sans vengeance ?… Oui, mourons, s’écrie-t-elle ; c’est au fer à m’ouvrir l’asyle de l’éternel repos. Que, du milieu des mers, le cruel repaisse au loin sa vue des flammes qui vont me consumer ; et qu’il emporte avec lui l’affreux présage de mon trépas ! »
Éneide, Virgile, livre 4, traduction Guerle
http://fr.wikisource.org/wiki/%C3%89n%C3%A9ide,_traduction_Guerle/4