Analyse-Livres & Culture pour tous
8 Juillet 2013
(St Thomas, détail vitrail Cathédrale de Canterbury)
Repères : Tour d'Angleterre : le Kent
Une ville médiévale
Canterbury est un haut-lieu de religion anglicane puisque sa cathédrale en est le siège et constitue le tout premier archevêché du pays. Déjà sise au carrefour des voies romaines, la ville présente un passé multiséculaire. La construction de la cité actuelle remonte au Moyen-âge avec ses petites ruelles sinueuses, et ses maisons à colombages au charme inégalé.
L'histoire des pèlerins a marqué les lieux depuis le martyr de Saint Thomas Becket. Assassiné en 1170 par les sbires du roi Henri II de Plantagenêt, le prêtre devint rapidement un sujet d'invocation pour le peuple des fidèles. C'est ainsi que ces derniers vinrent en nombre en pèlerinage dans cette ville.
La Littérature a repris à son compte l'existence de ces pérégrinations au travers d'une œuvre inconnue des Français : il s'agit des contes de Canterbury.
Les contes de Canterbury
Il s'agit d'une œuvre écrite par Geoffrey Chaucer au 14ème siècle qui reprend un genre littéraire très en vue à cette époque : le conte. Le prologue situe le contexte narratif particulier de l'ouvrage : dans une auberge, où se trouve une assemblée de pélerins, un pari est lancé à la volée : celui qui racontera le meilleur conte sur le chemin qui le conduit à Canterbury gagnera un repas gratuit.
Dans l'extrait qui vous est aujourd'hui proposé, il s'agit de découvrir le conte d'un apprenti cuisinier indélicat et fin paresseux …
***
"Jadis en notre ville était un apprenti
d’une corporation de marchands vitailleurs .(1)
Le drôle était gaillard comme pinson au bois,
aussi brun qu’une mûre — joli petit bout d’homme.
Ses cheveux étaient noirs et peignés avec soin.
Il était bon danseur, un danseur si joyeux
qu’on l’avait surnommé Pierquin le Révéleux (2)
Il était plein d’amour et de galanterie
autant que de doux miel est une ruche emplie.
C’était contentement pour celle qui l’avait !
A tous les mariages il dansait et sautait.
Le galant aimait mieux taverne que boutique.
Car, lorsqu’il y avait dans Chepe (3) chevauchée,
il n’y faisait qu’un saut, désertant la boutique.
Jusqu’à ce qu’il eût vu tout ce qu’on pouvait voir et qu’il eût bien dansé, jamais il ne rentrait.
Il assemblait maison de gens de son espèce
pour sauter et chanter et mener tels déduits ;
et là assignait-on encore le jour et l’heure
d’aller jouer aux dés dans telle ou telle rue.
Car dans la ville entière nul apprenti n’était
qui fût plus entendu à jeter les deux dés
que ne l’était Pierquin. Avec cela fort large
au fait de la dépense en la chambre discrète.
C’est ce dont s’aperçut son maître en son commerce, qui trouva son tiroir vide plus d’une fois :
car apprenti fringant — c’est une chose sûre —
qui fréquente les dés, le plaisir ou l’amour,
qui paiera les violons ? Le maître en sa boutique ;
quand même à la musique il n’aura nulle part —
vol et dissipation étant lors synonymes —
tandis que l’autre racle ou guitare ou rebec.
Débauche et probité, dans la condition humble,
se prennent aux cheveux, comme on sait, tout le jour.
Ce gaillard apprenti resta donc chez son maître jusqu’à ce que son temps fût près d’être fini, quoique matin et soir il reçût des semonces et que parfois l’orgie le menât à Newgate.
Mais il advint qu’enfin son maître s’avisa, un jour, après qu’il eut parcouru ses papiers, d’un proverbe qui dit expressément ceci : « Mieux vaut du tas tirer une pomme gâtée que de lui donner temps de gâter tout le reste. »
Serviteur débauché, c’est un cas tout semblable : c’est un bien moindre mal de le mettre dehors que de laisser par lui se perdre tous vos gens. Voilà pourquoi son maître lui donne son congé... "
↑ Marchands de victuailles.
↑ Ou Pierrot le fringant.
↑ Le marché, aujourd’hui Cheapside, rue de Londres.
Contes de Canterbury, le conte du cuisinier, Chaucer, traduction Félix Alcan, 1908
http://fr.wikisource.org/wiki/Conte_du_cuisinier
repères à suivre : Kent : Rochester avec Dickens