Analyse-Livres & Culture pour tous
20 Juin 2013
Repères : thème du ridicule : l'étude
Résumé : il a été indiqué dans l'article précédent que deux retraités décident de se lancer dans le travail de la terre avec une connaissance livresque des choses. L'échec est cuisant. Loin de se décourager, ils se lancent dans une nouvelle expérience touchant au corps humain. Ils se lassent de leur passion et se lancent vers d'autres champs du savoir (l'astronomie, la zoologie, la géologie,...). Arrivés au point culminant de leur sottise, Bouvard et Pécuchet tournent casaque et vont pénétrer dans le monde merveilleux des Humanités. Les échecs n'en seront pas moins aussi nombreux..
A ce stade du livre, il s'avère que les personnages sont prêts pour « s'ouvrir » à d'autres formes de connaissances : ils s'essayent ainsi à l'Histoire en faisant des recherches sur un personnage de seconde zone, puis passe sans transition à la Littérature. Chavignolles voit les deux amis se mettre à théoriser doctement sur l'art d'écrire. Leurs avis divergent notamment sur Balzac qui ne charme pas Pécuchet. On s'essaye ensemble à la tragédie...
« Ils apprirent par cœur les dialogues les plus fameux de Racine et de Voltaire et ils les déclamaient dans le corridor. Bouvard, comme au Théâtre-Français, marchait la main sur l’épaule de Pécuchet en s’arrêtant par intervalles, et roulait ses yeux, ouvrait les bras, accusait les destins. Il avait de beaux cris de douleur dans le Philoctète de La Harpe, un joli hoquet dans Gabrielle de Vergy – et quand il faisait Denys tyran de Syracuse une manière de considérer son fils en l’appelant Monstre, digne de moi ! qui était vraiment terrible. Pécuchet en oubliait son rôle. Les moyens lui manquaient, non la bonne volonté. » (chapitre 5, page 193)
C'est aussi l'emphase qui les mène à s'intéresser à autre chose qu'à leurs recherches, les évènements de la révolution de 1830 les y obligent. On plante l'arbre de la liberté, la foule est en liesse. On brigue la députation. Nos deux amis ne sont pas en reste : ils veulent s'y présenter, mais chacun veut laisser l'avantage à l'autre. C'est finalement Pécuchet qui choisit de se présenter devant les électeurs. Là encore, il se donne en spectacle en se livrant à une piteuse harangue...
Les femmes vont vite faire oublier aux deux hommes leurs précédentes déconvenues. Là encore, ce ne sera pas sans la perte de leurs illusions. Mais ils en ont l'habitude.
Dans quoi verseront-ils désormais ?
Bouvard et Pécuchet se jetteront alors dans la religion à corps perdu, relisant les Évangiles et cherchant à vivre dans la mortification avant de découvrir ensemble un nouveau sujet d'intérêt : l'éducation. Au dernier chapitre de cette œuvre inachevée, les voilà investis en effet dans l'éducation de deux orphelins à qui ils appliquent les méthodes de Rousseau. Ils se trouvent confrontés à des questions qui les bouleversent : « Que résoudre ? combiner les deux enseignements, le rationnel et l’empirique ; mais un double moyen vers un seul but est l’inverse de la méthode ? Ah ! tant pis ! » (chapitre 10, page 410). On voit tout le mal que les deux hommes déploient pour instruire ces enfants des champs de compétence qu'ils ont eux-même voulu tant connaître. Les connaissances sont aussi difficiles à apprendre qu'à enseigner. Les apprentis scientifiques sont aussi des apprentis éducateurs.
Mais les deux enfants qui sont des fins paresseux finissent par lasser leurs maîtres. C'est ainsi que sur ce chapitre 10 se clôt ce roman inachevé qui correspond à la première partie que l'auteur souhaitait en fait réaliser...
Derrière la sottise de ces deux hommes à l'esprit médiocre, c'est bien une critique des hommes à laquelle s'emploie farouchement Flaubert. Durant une grande partie de sa vie, ce dernier a tenu en effet un nombre incalculable de notes sur la bêtise humaine. Ce projet, celui d'une vie, devait puiser dans toutes ces sources que l'on imagine savoureuses...
Grand admirateur de ce roman, Maupassant commente magistralement la portée de ce livre à l'aide de cette métaphore :
« Et, puisque je suis dans les comparaisons mythologiques, voici l’image qu’éveille en mon esprit l’histoire de Bouvard et Pécuchet.
J’y revois l’antique fable de Sisyphe : ce sont deux Sisyphes modernes et bourgeois qui tentent sans cesse l’escalade de cette montagne de la science, en poussant devant eux cette pierre de la compréhension qui sans cesse roule et retombe.
Mais eux, à la fin, haletants, découragés, s’arrêtent, et, tournant le dos à la montagne, se font un siège de leur rocher. »
On ne peut mieux dire.
Dans l'article suivant, nous verrons aussi un autre anti-héros qui se perd dans une œuvre cocasse de William Boyd, Un Anglais sous les tropiques.
Repères à suivre : l'étude : une communauté d'expatriés perdue au cœur de l'Afrique noire (William Boyd)