Analyse-Livres & Culture pour tous
26 Mars 2012
Présentation de Margot Desmoulins
(repères : thème du corps : le feuilleton : la loi du corps)
En ce 25 mars 2022, brune aux yeux verts, longiligne, Margot Desmoulins se sentait fatiguée comme à l'extrême jour d'un départ en vacances lorsqu'il faut tout boucler d'urgence. Revenant à peine de congés, elle aurait dû être au contraire bien reposée ! Hypocondriaque par nature, elle se rassurait en trouvant des explications conjoncturelles : un virus. L'hiver a été rude. Rien de grave ! Ça passera comme cela a toujours été le cas ! Happée par son travail, elle ne prenait jamais le temps de se soigner sérieusement. L'automédication lui suffisait. En outre, la peur du médecin la guérissait instantanément de tous ses petits maux. Le pouvoir de l'esprit sur le corps !se disait-elle. Il n'y avait pas de raison que cela change. Ces deux dernières semaines, une profonde asthénie l'avait prise comme un vilain rhume qui ne passe pas. Mais âgée de trente-trois ans, elle était persuadée qu'elle était encore en pleine possession de ses moyens. La jeune femme ne buvait pas, ne fumait pas ; elle s'astreignait en outre à une alimentation bio et faisait du sport. Margot semblait en effet un modèle parfait d'équilibre à la fois sur le plan physique et mental.
Déterminée, elle avait misé sur sa carrière professionnelle, renonçant sans mal à fonder une famille. Ce n'est pas pour moi ! Voir mon corps déformé, quelle horreur ! avait-elle coutume de dire honnêtement. D'ailleurs les relations tendues avec Odile, sa génitrice, femme autoritaire et aigrie, ne militaient pas pour la création d'un nouveau foyer. Sa mère avait dû renoncer purement et simplement à sa vocation de grand reporter pour une autre raison... sa naissance, circonstance qui n'avait jamais été laissée dans l'ignorance de l'enfant. Hélas ! Margot avait entendu cette complainte toute sa vie. C'est pourquoi la jeune femme n'avait jamais culpabilisé devant son ventre toujours plat. Son entourage professionnel, féministe, lui avait permis d'être bien dans son corps et dans sa tête. Sans tabou. En outre, ce choix avait été mûrement réfléchi avec Pierre, son époux, qui ne débordait pas davantage d'envie de voir sa vie bouleversée par le bruit et le désordre de bambins sales et capricieux. Ils menaient donc tous deux une vie de couple harmonieuse sans la charge et la responsabilité d'une quelconque progéniture. La question réglée, la vie de la jeune femme tournait autour de deux axes, son mari et son travail, lesquels constituaient des bonheurs complets dans son univers privilégié.
Journaliste de presse féminine sur internet, elle était en charge de la rubrique Bien dans son Corps. Elle avait mis du temps à en être responsable. Cela nécessita au début un certain nombre de sacrifices en terme d'investissement professionnel. Elle dut aussi les premiers temps faire au niveau de l'éthique de sérieuses concessions. Pleine d’illusions, la jeune diplômée fraîchement recrutée déchanta ainsi rapidement. Débutant avec les éternels articles sur les cosmétiques et autres crèmes amincissantes qu'on lui envoyait par caisses entières, elle se mit en devoir de les tester sérieusement avant de faire son choix définitif. Question de professionnalisme ! affirmait-elle à la cantonade. Une évidence pour elle, mais pas pour les autres. C'est ainsi que son premier article fut refusé par la directrice de rédaction. Cette dernière craignait en effet de recevoir un appel d'un de ses annonceurs privilégiés, furieux de ne pas figurer dans la "Top List des must have". La néophyte se fit alors préciser les limites étroites de son champ de compétence : ces professionnels jouaient un rôle déterminant dans les recettes publicitaires du magazine. Il n'était pas question de les fâcher. Certains petits plaisantins dans le service se moquant de la ligne éditoriale du magazine parlaient de la LPA, la ligne du parti des annonceurs. En trois lettres, tout était dit ...
C'est ainsi qu'elle renonça à exercer un quelconque droit de contrôle sur ces produits. Ramenée à des considérations prosaïques, la journaliste abandonna toute velléité d'investigation pour rédiger des articles de pure promotion commerciale. Au début mortifiée car ce travail ne correspondait nullement l'image qu'elle s'en était faite depuis l'adolescence, elle finit par y trouver de l'intérêt. Étant invitée à différentes manifestations professionnelles par ses partenaires, elle se fit de nombreuses relations utiles. Son réseau s'étendit. Le "networking", c'est important pour ma carrière ! disait-elle à Pierre pour justifier son absence plusieurs soirs par semaine. C'est ainsi que son nom figura rapidement dans le monde des cosmétiques. Tout lui réussissait.
Seule une personne mettait un frein à l'enthousiasme de Margot. Ce n'était pas son père, Francis, qui était fier de la réussite professionnelle de sa fille ; c'était Odile, sa mère. Cette dernière, tout en réprouvant le milieu superficiel de la mode, ne manquait pas d'éplucher ses articles sans lui faire la moindre concession relativement à l'insignifiance des sujets couverts lorsque ce n'était pas sur la syntaxe employée. Elle concluait invariablement en relevant que rien dans la presse féminine ne constituait du journalisme tel qu'elle le concevait. La condamnation était ainsi sans appel. De son côté, Margot avait pris beaucoup de distance car elle savait en réalité que sa mère ne lui pardonnait pas de lui avoir volé son propre rêve...
En ce 25 mars 2022, une réunion de rédaction devait avoir lieu parmi les multiples tâches qui attendaient la jeune femme. Cette dernière menait une vie bien remplie, à la limite de la saturation...
repères à suivre : le feuilleton : 2ème partie