Analyse-Livres & Culture pour tous
22 Septembre 2009
"C'est la vie qui nous apprend et non l'école" (Sénèque). Il se trouve que l'école a inspiré de nombreux textes de la littérature. Retrouvez Colette et Pagnol dans cette étude...
Repère : Thème de l'école : l'étude
En dépit de cette citation, l'école reste un passage obligé pour effectuer des apprentissages indispensables. Lire, écrire, compter, cela va de soi. Comprendre le monde dans lequel on est plongé, réfléchir et penser par soi-même, cela n'est plus aussi simple d'autant que la préparation à un métier semble être désormais le but ultime de la scolarisation...
On conçoit aisément que le volume et que la nature de ces acquisitions puissent laisser des souvenirs mitigés dans la mémoire de certains élèves. Cependant ces expériences ne charrient guère de l'indifférence. Pourquoi ? Peut-être en raison du fait que l'école apparaît comme un foyer de vie...
La littérature a évoqué brièvement le thème de l'école au détour le plus souvent de récits sur la jeunesse abîmée par des institutions terriblement rigides... Mais quittons ces sinistres temps !
La Gazette entreprend ce mois-ci de vous faire redécouvrir l'école, source de souvenirs merveilleux et ineffaçables. Deux œuvres sont proposées à votre lecture toujours attentive :
On ne saurait se lasser de la fraîcheur des souvenirs compilés par ces deux formidables écrivains.
Âgée de quinze année, Claudine retrace de manière jubilatoire les souvenirs de son année préparatoire à l'obtention du brevet élémentaire au sein de l'école de Montigny qui se présente comme un établissement scolaire accueillant les enfants provenant des classes modestes de la campagne. Claudine qui est issue de la bourgeoisie et dont la lucidité n'est pas la moindre de ses qualités a pleinement conscience d'être "atypique" au milieu de ses camarades. Dès le début du livre, elle relève : « Moi, je me trouve dans ce milieu étrange parce que je ne veux pas quitter Montigny ; si j’avais une maman, je sais bien qu’elle ne me laisserait pas vingt-quatre heures ici, mais papa, lui, ne voit rien, ne s’occupe pas de moi, tout à ses travaux, et ne s’imagine pas que je pourrais être plus convenablement élevée dans un couvent ou dans un lycée quelconque. Pas de danger que je lui ouvre les yeux !» (page 8). La délicieuse Claudine se plaît en effet dans cette école vétuste où tout est prétexte à l'amusement et à la dérision quand il ne s'agit pas de compétitions entre élèves conduisant éventuellement à quelques bagarres dans la cour de récréation...
Cependant le sérieux programme du brevet implique de rudes leçons de français, de mathématiques, de musique, d'histoire, de géographie, de couture, de dessin...Claudine, élève brillante mais indisciplinée, se voit poser des problèmes d'arithmétique qui feraient dresser les cheveux des collégiens de notre époque. Déjà, cette dernière peste-t-elle régulièrement contre ces énoncés qu'elle juge absurde : «Faudrait-il pas, aussi, dire si l’ouvrier est heureux en ménage ? Oh ! quelle est l’imagination malsaine, le cerveau dépravé où germent ces problèmes révoltants dont on nous torture ? Je les exècre ! Et les ouvriers qui se coalisent pour compliquer la somme de travail dont ils sont capables, qui se divisent en deux escouades dont l’une dépense 1/3 de force de plus que l’autre, tandis que l’autre, en revanche, travaille deux heures de plus ! (…) Odieuses suppositions, hypothèses invraisemblables, qui m’ont rendue réfractaire à l’arithmétique pour toute ma vie ! »(page 35)
Claudine trouve néanmoins dans cette école ce qui lui manque singulièrement chez elle, c'est à dire de l'attention : elle quémande en effet de l'intérêt porté à sa personne que ce soit par ses traits d'esprit, sa rébellion ou par ses compositions écrites. Ainsi, prend-elle délibérément en grippe la nouvelle directrice de l'école, Mademoiselle Sergent à qui elle reproche notamment de lui avoir ravi l'affection de Mademoiselle Aimée, son professeur d'anglais. Au sein de l'école, on pénètre aussi dans une atmosphère particulièrement trouble qui passionnera Claudine en bonne délurée et en enfant parfaitement avertie ... La fin de l'année s'achève avec le fameux examen du brevet dont le passage est un véritable événement, la fête de l'école toute fleurie avec sa distribution de prix... Puis, il faudra se dire adieu non sans déchirements : «Adieu la classe, adieu, Mademoiselle et son amie ; adieu, féline petite Luce et méchante Anaïs ! Je vais vous quitter pour entrer dans le monde – ça m'étonnera bien si je m'y amuse autant qu'à l'école.» (page 254)
Claudine à l'école procure une vraie réjouissance et un intense moment de lecture.
Marcel, détenteur d'une bourse d'état, fait son entrée au lycée de Marseille qui comprend en son sein toutes les classes du collège. Dès lors, son univers change radicalement ainsi qu'il le relève : «Ce n'est que bien plus tard que je découvris l'effet le plus surprenant de ma nouvelle vie scolaire : ma famille, ma chère famille, n'était plus le centre de mon existence. Je ne la voyais qu'aux repas du soir, et quand je parlais du lycée, pour répondre aux questions de mon père et de Paul, je ne leur disais pas tout et je parlais comme un voyageur qui raconte des histoires du Brésil ou du Canada à des gens qui n'y sont jamais allés, et qui ne peuvent pas tout comprendre. » (page 7) Le monde de Marcel n'est en effet plus celui de son enfance dans l'arrière-pays provençal.
Il sera désormais composé notamment de leçons, d'études surveillées, de compositions, de récréations durant lesquelles des amitiés vont se nouer au centre d'une société secrète placée sous le Haut Patronage du valeureux Vercingétorix ! La vie du collège est rythmée par les nombreuses facéties de collégiens toujours en quête d'expérimentations lorsque le lycée n'est pas le théâtre de savantes tricheries compensant la paresse et le lieu de franches bagarres, sanctionnées par les retenues du jeudi... bref, l'univers d'un collège ordinaire. Seulement les souvenirs de cette époque possèdent une brillance extraordinaire. Le récit de l'affaire des boules puantes placées sous le bureau du professeur est à cet égard évocateur de la drôlerie émaillant le livre : «Il baissa le nez, flaira l'air et, pour la première fois, on vit paraître sur son visage le sourire émerveillé de la Pythie, car il était comme elle (ou comme un jambon fumé) juste au-dessus de la source d'un flot montant d'odorantes vapeurs. (…) Alors, promenant sur la classe un sourire effroyablement amical, il dit dans un silence épouvanté : «Il y a dans cette classe quelqu'un qui sait que j'adore le parfum puissant de l'hydrogène sulfuré (H2S) et qui m'a fait ce présent quintuple. Je ne veux pas connaître son nom, mais je le remercie cordialement. Surtout que personne n'ouvre les fenêtres, afin de ne pas gâter notre plaisir. » »(page 36)
Ce temps béni de l'adolescence pousse surtout Marcel à la découverte de la littérature et de l'écriture : «C'est pendant l'étude du soir entre six heures et six heures et demie que je fis une importante découverte. Je venais de terminer ma version latine. C'était le soixante-troisième chapitres du livre VII de César (…) En attendant le dernier tambour du soir, je feuilletais les Morceaux choisis de la Littérature française lorsque le hasard me proposa un poème de François Fabié. L'auteur parlait à son père, un bûcheron de Rouergue, et il lui promettait de n'oublier jamais :
Que ma plume rustique est fille de ta hache.
Cette transformation de l'une cognée en « plume » me parut le comble de l'élégance poétique, et je ressentis le frisson sacré de la beauté. Des larmes montèrent à mes yeux, et je pénétrai dans le royaume sous les yeux de ce Poetus, qui ne se douta de rien. » (page 97) Marcel gardera durant ses études le goût des belles lettres au point de se transformer pour ses amis en scribe pour les compositions écrites et pour les premières lettres d'amour... Une lecture tonifiante !
*livre de poche, 2000
**fortunio, flammarion (2004)
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