Analyse-Livres & Culture pour tous
8 Juillet 2009
La Gazette vous emmène faire un étonnant voyage sur les terres de Provence parfumées des odeurs de lavande sauvage et de thym. Venez découvrir l'histoire drôle et passionnante du curé de Cucugnan d'Alphonse Daudet.
repères : thème du voyage : Curé de Cucugnan (Daudet)
Il vous est proposé de lire l'histoire du curé de Cucugnan, extrait des Lettres de mon moulin de Daudet (1869).
Voyage insolite
Quel est le rapport entre cette nouvelle et le thème du voyage ? Il s'agit de l'évocation d'un rêve du prêtre qu'il révèle à ses fidèles. Ce rêve était un voyage au paradis...
Humour, ironie...
Tout y est.
"Tous les ans, à la Chandeleur, les poètes provençaux publient en Avignon un joyeux petit livre rempli jusqu’aux bords de beaux vers et de jolis contes. Celui de cette année m’arrive à l’instant, et j’y trouve un adorable fabliau que je vais essayer de vous traduire en l’abrégeant un peu... Parisiens, tendez vos mannes. C’est de la fine fleur de farine provençale qu’on va vous servir cette fois...
L’abbé Martin était curé... de Cucugnan.
Bon comme le pain, franc comme l’or, il aimait paternellement ses Cucugnanais ; pour lui, son Cucugnan aurait été le paradis sur terre, si les Cucugnanais lui avaient donné un peu plus de satisfaction. Mais, hélas ! les araignées filaient dans son confessionnal, et, le beau jour de Pâques, les hosties restaient au fond de son saint-ciboire. Le bon prêtre en avait le cœur meurtri, et toujours il demandait à Dieu la grâce de ne pas mourir avant d’avoir ramené au bercail son troupeau dispersé.
Or, vous allez voir que Dieu l’entendit.
Un dimanche, après l’Évangile, M. Martin monta en chaire.
— Mes frères, dit-il, vous me croirez si vous voulez : l’autre nuit, je me suis trouvé, moi misérable pécheur, à la porte du paradis.
« Je frappai : saint Pierre m’ouvrit !
« — Tiens ! c’est vous, mon brave monsieur Martin, me fit-il ; quel bon vent... ? et qu’y a-t-il pour votre service ?
« — Beau saint Pierre, vous qui tenez le grand livre et la clef, pourriez-vous me dire, si je ne suis pas trop curieux, combien vous avez de Cucugnanais en paradis ?
« — Je n’ai rien à vous refuser, monsieur Martin ; asseyez-vous, nous allons voir la chose ensemble.
« Et saint Pierre prit son gros livre, l’ouvrit, mit ses besicles :
« — Voyons un peu : Cucugnan, disons-nous. Cu... Cu... Cucugnan. Nous y sommes. Cucugnan... Mon brave monsieur Martin, la page est toute blanche. Pas une âme... Pas plus de Cucugnanais que d’arêtes dans une dinde.
« — Comment ! Personne de Cucugnan ici ? Personne ? Ce n’est pas possible ! Regardez mieux...
« — Personne, saint homme. Regardez vous-même, si vous croyez que je plaisante.
« Moi, pécaïre ! je frappais des pieds, et, les mains jointes, je criais miséricorde. Alors, saint Pierre :
« — Croyez-moi, monsieur Martin, il ne faut pas ainsi vous mettre le cœur à l’envers, car vous pourriez en avoir quelque mauvais coup de sang. Ce n’est pas votre faute, après tout. Vos Cucugnanais, voyez-vous, doivent faire à coup sûr leur petite quarantaine en purgatoire.
« — Ah ! par charité, grand saint Pierre ! faites que je puisse au moins les voir et les consoler.
« — Volontiers, mon ami... Tenez, chaussez vite ces sandales, car les chemins ne sont pas beaux de reste... Voilà qui est bien. Maintenant, cheminez droit devant vous. Voyez vous là-bas, au fond, en tournant ? Vous trouverez une porte d’argent toute constellée de croix noires... à main droite... Vous frapperez, on vous ouvrira... Adessias ! Tenez-vous sain et gaillardet." (à suivre)
Alphonse Daudet, les Lettres de mon Moulin, Wikisource
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