31 Mars 2025
Bac : dans cet acte II, on retrouve les éléments du romantisme vus précédemment. Ce qui surprend, c’est l’importance du discours libertin utilisé par Perdican, mais aussi par Camille dans une surenchère : on est dans le jeu de séduction.
repère : Bac : Musset
Nous travaillons depuis le début sur le traitement de la problématique axée sur le fait de comprendre comment l’amour dans On ne badine pas avec l'amour fait naître une confrontation entre romantisme et libertinage ainsi que le plan progressif de notre étude :
Aujourd’hui examinons ensemble l’acte II en cherchant la confrontation des discours amoureux, romantisme vs libertinage.
Il est intéressant de croiser les lieux avec la catégorie de langage. Il s’avère que le romantisme a pour cadre des scènes extérieures, ce qui est conforme à la représentation de ce courant valorisant la nature. Par opposition, le libertinage a pour localisation l’intérieur d’un lieu. Nous voyons ici que Musset brouille les cartes puisque le même cadre voit passer les deux types de discours comme on peut le voir à la scène 3 située “au champ” et la scène 5 sise à la fontaine dans un bois. Entrons dans le détail de l’acte.
Nous avions souligné trois marqueurs romantiques dans l’article précédent (jeunesse/éducation/sensibilité). Dans l’acte suivant, nous allons conserver la sensibilité à laquelle nous ajouterons d’autres comme la sincérité, l’exaltation de l’amour.
a) sensibilité : l’acte II se situe dans la quasi totalité dans la nature (jardin, champ, bois) et c’est un lieu propice à l’envolée lyrique pour Perdican “j’aurais voulu m’asseoir avec toi sous les marronniers du petit bois” (scène 2). À la scène 4, cet être ultra sensible pleure comme le relève Rosette.
Chez Camille, la sensibilité du romantisme prend la forme d’un refus marquant une désunion intérieure. Elle refuse tout contact corporel : ”je n’aime pas les attouchements “(scène 1). Ce rejet du corps va de pair avec la variation des dispositions d’esprit. “Je suis d’humeur changeante “ (scène 5). Sa sensibilité l’empêche de dire les choses. Elle reste dans le secret :“Je suis obligée de partir.”/“C’est mon secret.”(scène 1). Les scènes défilent et à la dernière de l’acte, elle se livre enfin.
Sa confidence à Perdican la dépeint non comme une héroïne froide et distante, mais comme un être de feu. L'examen attentif de ses paroles montre sa compassion, littéralement cum-passere en latin ( soit avec-souffrir) : elle est réceptive à des émotions. Ces dernières ne sont pas positives, car elles ne sont pas liées à une joie communicative, mais au contraire à des passions tristes : ici le chagrin d’autrui. Cependant, il ne s’agit pas pour elle d’éprouver un amour du genre humain, on a vu le mépris qu’elle entretient à l’endroit de Rosette notamment lorsqu’elle ne court pas la revoir à l’acte I et lorsqu’elle la qualifie de “fille de rien” à l’acte 3. Non, elle n’a vraiment de la compassion que pour une seule personne : sa voisine de chambre, Louise.
Musset insiste longuement sur cette empathie : “ses malheurs ; ils sont presque devenus les miens ;” (scène 5)/ “c’était moi que je voyais agir tandis qu’elle parlait. Quand elle disait : Là, j’ai été heureuse, mon cœur bondissait ; et quand elle ajoutait : Là, j’ai pleuré, mes larmes coulaient.” (scène 5). On assiste à une confusion entre les sentiments vécus par l’une et ressentis par l’imagination par l’autre. Camille ressent les émotions par procuration. Elle est dotée d’une sensibilité exacerbée, poussée à l’excès en ce qui concerne le corps, l’esprit et son rapport à autrui. Qu’est-ce qui la conduit à ressentir les choses si vivement ? La peur.
Camille a développé une sensibilité à fleur de peau, car elle craint le monde, son chaos qu’elle perçoit non de sa propre perception, mais du seul discours de Louise. L’amour humain l’angoisse avec son lot de trahisons et d'abandons : sa vision de l’amour est déformée par une fatalité comme chez tous les romantiques.
Chez Rosette, on trouve cette sensibilité pure et innocente. Elle est ajustée au réel à la différence de Camille. Son empathie à l’égard de Perdican est juste : “ Comme vous paraissez triste ce matin !” (scène 3). Cette sensibilité va de pair avec la sincérité des mots.
b) sincérité : cette sincérité apparaît à l’acte II. C’est un critère du romantisme. Le héros se veut authentique, rejetant l’insincérité du monde avec ses compromissions. Son discours se veut vrai, il ne l’est pas forcément. C’est un idéal.
Chez Perdican, cette sincérité le rend vulnérable et le fait passer pour un incompris : “Les paysans de ton village se souviennent de m’avoir aimé ; les chiens de la basse-cour et les arbres du bois s’en souviennent aussi ; mais Camille ne s’en souvient pas” (scène 3). Dans le même temps, il croit à ses propres mensonges : “ne sommes-nous pas le frère et la sœur ?” (scène 1). Enfin, Perdican est un être lucide : avec sincérité, il détecte les changements de discours de Camille : “Il y a de la franchise dans ta démarche” (scène 1). Sa lucidité sert également de fondement à sa critique de l’attitude de sa cousine (acte 5) : il perçoit toutes les illusions qu’elle livre dans sa relation avec Louise.
Chez Camille, la sincérité transparaît de deux manières à l’égard de son cousin et à son égard. Il lui faut percer l’armure en Perdican pour pouvoir se livrer en confiance : Elle le juge positivement : “vous n'êtes point un libertin” /“vous ne vous seriez pas livré à un caprice” (scène 5). En outre, elle dit : “je crois que votre coeur a de la probité” (scène 5). C’est dans ces conditions que sa sincérité lui permettra de lui révéler sa confidence au sujet de Louise comme on l’a vu. Elle fait de son point de vue excès de sincérité : “J’ai eu tort de parler ; j’ai ma vie entière sur les lèvres. “ (scène 5). Cet aveu de sincérité est aussitôt regretté en raison de la crainte que le monde et autrui lui inspirent.
c) l’exaltation de l’amour
C’est un marqueur important du romantisme cette quête de l’amour. Perdican ne se considère pas comme un libertin avec cet aveu négatif : “ma foi je ne m’en souviens pas” (scène 5). La fidélité demeure un idéal pour lui : “je crois qu’il y a des hommes capables de n’aimer qu’une fois” (scène 5). Personnellement, il se situe non sur le terrain de la fidélité, mais se place sous l’empire de l’amour avec son hymne célèbre : “mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui.” (scène 5)
Le héros romantique revendique le fait d’aimer, de vivre une passion brûlante.
Chez Camille, on trouve deux sortes d’amour et une conséquence de cette exaltation. Sa vision du monde est fondée sur le récit de Louise. Elle vit par procuration : “une vie imaginaire ; cela a duré quatre ans “ (scène 5). Perdican a bien compris l’illusion dans laquelle est plongée sa cousine : “Elles ont vécu, n’est-ce pas ? et elles t’ont montré avec horreur la route de leur vie “ (Perdican, scène 5). Cela disqualifie l’amour physique qu’elle rejette avec passion comme on le voit avec l’opposition “ vierges et pleines d’espérances” /”vieilles et désolées ”(scène 5). Elle avoue même les motifs de son aversion sans détour : “Je veux aimer, mais je ne veux pas souffrir. Je veux aimer d’un amour éternel, et faire des serments qui ne se violent pas” (scène 5). C’est la souffrance causée par l’amour que la jeune fille fuit en réalité. Et plus particulièrement l’abandon qui la pousse dans les bras de la religion : “je vais prendre le voile.” (scène 5). Mais cette manière de parler de sa foi la discrédite. “ Voilà mon amant. Elle montre son crucifix.” (scène 5). Camille emploie, en effet, des mots d’amour, “amant”, ce qui paradoxalement humanise Dieu, tout en montrant un objet divin, un crucifix. Cela montre qu’elle n’éprouve pas de vocation authentique ; celle-ci n’est qu’un simple refuge, une manière étanche de vivre bien loin des hommes. On assiste à une exaltation du sentiment amoureux humain/divin loin de toute forme de raison.
Voyons maintenant les aspects du libertinage dans cet acte.
Ils sont plus nombreux que les éléments propres au romantisme. Par ailleurs, ils ne sont plus en germe comme dans l’acte I et plus seulement à l’initiative de Perdican : on est dans le jeu de séduction.
a) Perdican
On retrouve le rôle de l’apparence physique importante pour le libertin qui se flatte d’aimer sans être amoureux.
Avec Rosette, il reprend son attitude de maître en adoptant la posture de flatteur : “quel mal y trouves-tu ?”/“Ne suis-je pas ton frère comme le sien ?” (scène 3)/“Que tu es jolie, mon enfant !” (scène 3).
Avec Camille, il choisit le vocabulaire libertin : “y-a t-il une intrigue ?” (scène 5), il adopte une attitude pleine de force, voire menaçante : “prends garde à toi.” (scène 5). Il recourt, en outre, dans son expression à des provocations.
Il lui dispense d’abord des conseils immoraux liés à l’amour : “de prendre un amant (scène 5)/ “Tu en prendras un autre.” (scène 5). Il la provoque par ailleurs sur le terrain de la religion si décriée par les libertins : “En voilà un ; je ne crois pas à la vie immortelle.” (scène 5). Il se déclare athée alors qu’à l’acte III, il s’élance dans une prière. Il s’emploie à dénigrer la vocation des religieuses : “Elles qui te représentent l’amour des hommes comme un mensonge, savent-elles qu’il y a pis encore, le mensonge de l’amour divin ?” /“le ciel n’est pas pour elles.”(scène 5). C’est alors qu’il se livre à une déclaration du libertin qui constitue la première partie de l'hymne romantique à l’amour : “Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux ou lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ;” (scène 5). La surprise du libertinage vient de Camille.
b) Camille
La jeune fille change en effet d’attitude, elle passe de la froideur à l’affection. Elle adopte un plan. Pourquoi ? Parce qu’elle est jalouse depuis qu’elle a surpris le duo Perdican/Rosette : “Ce matin, en me promenant avec Rosette, j’ai entendu remuer dans les broussailles, il m’a semblé que c’était un pas de biche.” (Perdican, scène 5). Elle va à son tour adopter un langage libertin. On peut noter des marqueurs du libertinage.
Elle recourt tout d’abord à l’envoi d’une lettre, procédé très courant dans cet univers : «Trouvez-vous à midi à la petite fontaine. » (scène 5). Elle a conscience du caractère libertin du message puisqu’elle se défend aupr!s de sa gouvernante : Ne dois-je pas être sa femme ? je puis bien écrire à mon fiancé.” (scène 1). Furieuse que son ordre ne soit pas exécuté, la douce Camille se met en colère : Allez-y ! Trouvez-le ! Faites ce qu’on vous dit ! Vous êtes une sotte ! Je le veux ! Et elle frappait avec son éventail sur le coude de dame Pluche, qui faisait un soubresaut dans la luzerne à chaque exclamation.” (scène 4).
Pour l’exécution de son plan, elle est prête à tout et notamment à engager son corps : “Je vous ai refusé un baiser, le voilà. “ (scène 5)/”une froide statue”. Sur la forme, elle flatte Perdican en recueillant ses conseils : “Je suis bien aise de vous consulter.” (scène 5) Sur le fond, elle discourt faussement sur l’amour libre au conditionnel : “Croyez-vous que ces femmes-là auraient mieux fait de prendre un amant et de me conseiller d’en faire autant ? (scène 5)/“Que me conseilleriez-vous de faire le jour où je verrais que vous ne m’aimez plus ?” (scène 5) avant de lui demander de trancher cette question terriblement personnelle : “savoir si j’ai tort ou raison de me faire religieuse.” (scène 5).
Ce qui frappe le plus dans cet entretien très long, c’est la connaissance précise par Camille du monde libertin. Elle connaît ce qui s’y passe et comment le discours libertin est utilisé. Elle en adopte tous les codes : aborde l’éducation des hommes aux plaisirs : “Vous faites votre métier de jeune homme,”(scène 5)/”vos maîtresses,” (Scène 5). Elle a conscience des moments de jouissance : “Il me semble que vous devez cordialement mépriser les femmes qui vous prennent tel que vous êtes, et qui chassent leur dernier amant pour vous attirer dans leurs bras avec les baisers d’un autre sur les lèvres. “ (scène 5).
Elle reprend sans rougir la conception de l’amour par les libertins, la femme-objet. On note également la métaphore libertine entre la femme et les voyages, soit une relation libre sans attaches, et la femme représentée comme de l’argent qui circule. On voit donc la hardiesse des propos dans la bouche d’une jeune fille tout juste sortie du couvent : “ Est-ce donc une monnaie que votre amour, pour qu’il puisse passer ainsi de mains en mains jusqu’à la mort ? “ (scène 5).
Elle utilise une autre métaphore alliant les cheveux et les bijoux : “mais ils (cheveux) ne se changeront pas en bagues et en chaînes pour courir les boudoirs” (scène 5). Cela cache sa fausse vocation : “ la froide nonne qui coupera mes cheveux, pâlira peut-être de sa mutilation “/“je ne veux qu’un coup de ciseau, et quand le prêtre qui me bénira me mettra au doigt l’anneau d’or de mon époux céleste, la mèche de cheveux que je lui donnerai, pourra lui servir de manteau.” (scène 5)
On a ainsi les éléments prouvant qu’il ne s’agit pas d’un entretien franc, mais d'une pure mise à l’épreuve toute libertine. Les questions n’ont pas d’autres objets que de susciter, par jeu, chez Perdican un aveu d’amour.
Pour l’obtenir, elle provoque l’aveu en elle : “en vérité, je vous ai aimé, Perdican” (scène 5). On note l’emploi du passé composé, temps du passé. Elle attend en retour une déclaration conforme.
c) Rosette
On notera chez elle la finesse de son jugement critiquant l’attitude libertine de Perdican qui la compromet : “Croyez-vous que cela me fasse du bien, tous ces baisers que vous me donnez ? (scène 3)
Vous trouverez ci-après le tableau récapitulatif.
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repère à suivre : Acte III