21 Janvier 2025
Bac : le Menteur serait-il donc une pièce immorale ? Le dernier vers de la comédie surprend à cet égard. On analysera l’habileté de la tirade reposant sur une maxime morale, sur une double interpellation et enfin sur la dispensation d’un conseil apparemment immoral...
repère : le bac : Corneille
Poursuivons l'analyse liée au parcours mensonge/comédie du Menteur de Corneille, selon la progression suivante, en nous intéressant désormais à la troisième partie :
1. l'introduction à l'œuvre : contexte, origine et nature de la pièce
Problématique
Le sujet de la pièce invite à se questionner sur la morale posée par la pièce. On rappelle le propos de la comédie de Corneille tourne autour du mensonge qui est vu, du point de vue de la morale, comme un vice. Le Menteur serait-il donc une comédie immorale ?
Dans le contexte du XVIIe siècle, il faut rappeler l'influence morale de deux courants : les jansénistes et les jésuites.
Les jansénistes condamnent le genre théâtral considéré comme un divertissement frivole au sens pascalien du terme : la littérature, en général, et le théâtre, en particulier, ne créent que du mensonge en croyant imiter le vrai. Cette circonstance détourne ainsi l'homme de sa quête personnelle de la vérité.
Le courant jésuite, réputé trop laxiste, est critiqué par les jansénistes avant que ce dernier mouvement ne soit condamné par Louis XIV.
Il a fallu pour les théoriciens de la morale justifier du bien-fondé de la littérature théâtrale. Aubignac a ainsi cherché à promouvoir l’idée que la littérature a pour mission noble d’enseigner de grandes vérités aux hommes.
On a ainsi conçu le théâtre comme un moyen d'expression destiné à corriger l'homme. Castigat ridendo mores, le rire corrige les mœurs, ce qui est le propre du théâtre de Molière.
La comédie, de ce point de vue, est censée inviter l'homme à s’amender, à corriger ses défauts par le rire.
On voit donc l'enjeu moral qui sous-tend le théâtre au 17e siècle.
Qu'en est-il chez Corneille ?
Intéressons-nous, si vous le voulez bien, à la dernière tirade de l’acte V mise dans la bouche du valet, Cliton : analysons-la selon la méthode des 6 GROSSES CLEFS © :
Gr : grammaire C : Conjugaison
OS : oppositions le : champ lexical
SE : les 5 sens FS : figures de style
CLITON, seul.
Comme en sa propre fourbe un menteur s’embarrasse !
Peu sauraient comme lui s’en tirer avec grâce.
Vous autres qui doutiez s’il en pourrait sortir,
Par un si rare exemple apprenez à mentir.
Le dernier vers surprend sur le plan de la morale. Le Menteur serait-il donc une comédie immorale ? On souligne l’habileté de la tirade reposant sur une maxime morale (a), sur une double interpellation (b) et enfin sur la dispensation d’un conseil apparemment immoral ©.
a) une maxime
Le premier vers est amené par le résumé de la comédie. “Comme en sa propre fourbe un menteur s’embarrasse !“. Avec cette phrase exclamative, Corneille évoque les pièges du mensonge ou, pour le dire autrement, le risque du menteur d’être pris à ses propres mensonges.
Il s'agit pour lui de poser une maxime ayant une valeur de vérité générale dite au mode indicatif présent.
On est donc dans une posture morale, dissuasive en somme.
Mais la suite de la tirade sort de ce champ avec une double interpellation.
b) une double interpellation
Dans les deux vers suivants, Corneille interpelle à la fois le genre humain “peu”, mais également les spectateurs “vous autres” dans un face à face avec le valet dont la didascalie nous dit qu’il est “seul” : on a donc une gradation descendante. Par ailleurs, il recourt au mode conditionnel, celui de l’hypothèse.
Ainsi on a une opposition dans la quantité avec l’adverbe “peu” signifiant une quantité moindre et “vous autres” avec le pronom personnel 2e personne du pluriel, indiquant, à l’inverse, une grande quantité. C’est dans les deux cas l’évocation d'une impossibilité avec l’utilisation du mode conditionnel, celui de l’hypothèse avec “sauraient/pourrait”.
Les deux propositions subordonnées successives, l’une relative “qui doutiez” à l'imparfait de l'indicatif marquant la suspicion du public et, l'autre, interrogative indirecte au conditionnel “ s’il en pourrait sortir,” sont destinées à montrer l’imbroglio des mensonges et le talent du personnage principal.
Cette double interpellation du genre humain et du public laisse la victoire au héros cornélien avec la comparaison avec l’adverbe “comme lui”. On aurait pu en rester là, mais Corneille va plus loin…
c) Immoralité ?
On aboutit enfin à un changement de ton, l’impératif “apprenez à mentir” qui est mis en fin de vers.
Notons l'insistance sur l’exemplarité mise en avant : quelle est donc la valeur de ce mode ?
Comme vous le savez, l’impératif renvoie à l’ordre ou au conseil. Il s'agit de déterminer ce point pour voir la valeur morale ou immorale de cette comédie en particulier et de la comédie en général.
Il existe une nuance de taille.
Si c’est un ordre, c’est nécessairement immoral ;
Si c’est un conseil, on entre alors dans un domaine qui dépasse la morale.
Qu’en est-il ?
À la lecture fine de ce dernier vers : “Par un si rare exemple apprenez à mentir.”, on note une ambiguïté. Deux sens sont, en effet, à relever :
C’est évident le second sens qui prévaut et renvoie à la fonction de la comédie dévolue par Corneille que nous verrons dans l’article suivant.
repère suivant : la fonction de la comédie cornélienne