21 Janvier 2025
Bac : pour Corneille, le théâtre doit obéir à un seul impératif : le plaisir. Il considère qu'une œuvre doit procurer au spectateur un divertissement comme il le dit dans l'Épître analysée. Il faut aussi rappeler qu’au moment du Menteur triomphe alors, depuis la Fronde, la comédie burlesque espagnole, au rire plus fin, plus délicat que celui de la commedia dell’arte italienne.
repère : le bac : Corneille
Nous continuons l'analyse liée au parcours mensonge/comédie du Menteur de Corneille, selon la progression suivante, en nous intéressant désormais à la troisième partie :
1. l'introduction à l'œuvre : contexte, origine et nature de la pièce
2. Le mensonge comme moyen d'action : définitions
3. Le mensonge, comme une fin en soi
- la fonction de la comédie cornélienne,
Plaisir
Au XXe siècle, on a estimé que Corneille a dispensé des idées morales et politiques, mais c'est sans compter sur ses nombreuses dénégations formulées de son temps. Tout au long de sa carrière, il n'a cessé, en effet, de dire que la fin ultime de son théâtre n'avait rien à voir avec l'instruction morale ou civique du spectateur.
Il se sert des travers humains pour nourrir sa comédie : il fait donc de la comédie à partir des mœurs de la société de son temps. Mais ce n'est que son matériau et non une fin en soi.
Pour Corneille, le théâtre doit ainsi obéir à un seul impératif : le plaisir. Il considère qu'une œuvre doit procurer au spectateur un divertissement. Il faut aussi rappeler qu’au moment du Menteur triomphe alors, depuis la Fronde, la comédie burlesque espagnole, au rire plus fin, plus délicat que celui de la commedia dell’arte italienne.
Pour s’en convaincre, relevons ses propos dans l’épître précédant sa pièce en coloriant les points les plus importants selon la méthode des 6 GROSSES CLEFS © :
Gr : grammaire C : Conjugaison
OS : oppositions le : champ lexical
SE : les 5 sens FS : figures de style
“J’ai fait Pompée pour satisfaire à ceux qui ne trouvaient pas les vers de Polyeucte si puissants que ceux de Cinna, et leur montrer que j’en saurais bien retrouver la pompe quand le sujet le pourrait souffrir ; j’ai fait le Menteur pour contenter les souhaits de beaucoup d’autres qui, suivant l’humeur des Français, aiment le changement, et après tant de poèmes graves dont nos meilleures plumes ont enrichi la scène, m’ont demandé quelque chose de plus enjoué qui ne servît qu’à les divertir. “
La problématique qui se pose est celle de savoir sur quoi se fonde la singularité de la comédie singulière. Nous verrons qu’elle repose sur l’opposition entre les deux genres littéraires (a), sur le public de la comédie (b) et l’objectif poursuivi ©.
a) tragédie/comédie
On voit une argumentation reposant sur une volonté de convaincre par une construction en miroir, avec deux phrases juxtaposées reposant sur la répétition du verbe de création “j’ai fait” au passé composé, temps proche du présent.
Corneille dresse, en effet, un parallèle entre deux genres littéraires, ses tragédies et sa dernière comédie, reposant sur une même volonté de plaire comme le suggère les deux propositions infinitives “pour satisfaire/pour contenter”.
On relève aussi une critique ironique en ce qui concerne la réception de ses œuvres tragiques par ses pairs qui ne le ménagent pas “à ceux qui ne trouvaient pas“ : il s’en moque en recourant à une tournure négative et des pronoms produisant un effet impersonnel ; par ailleurs il utilise trois propositions relatives et conjonctives complétives et circonstancielles pour donner un effet de fausse justification reposant sur l’utilisation du conditionnel produisant un effet de litote “que j’en saurais bien retrouver la pompe quand le sujet le pourrait souffrir “.
Notons enfin l’opposition entre “à ceux” pour les tragédies et “beaucoup d’autres” en faveur de la comédie.
Corneille cherche désormais à se justifier positivement et à donner un sens à la comédie.
b) le public de la comédie
Sa première idée consiste à privilégier les bénéficiaires de ses pièces : pour cela, on retrouve la même construction avec les propositions subordonnées destinées, cette fois, après une gradation montante entre ceux/beaucoup d’autres et enfin le peuple, à mettre en valeur le public “des Français”. C’est donc non pour plaire aux critiques, mais aux hommes que la comédie cornélienne est destinée.
Et après sa destination, il y voit une fonction singulière : “quelque chose de plus enjoué qui ne servît qu’à les divertir. On avait vu dans un autre article l’emploi de périphrase qu’il reprend ici pour parler du genre de la comédie “quelque chose”.
Et cette manière de nommer est méliorative, car elle est associée à un superlatif “de plus enjoué” qui s’oppose de manière péjorative aux “tant de poèmes graves (...) nos meilleures plumes” avec de l’ironie en prime à l'adresse de ses contemporains. Dans l’esprit de Corneille, le champ lexical de la réjouissance est à relever : “contenter”/”souhaits”/”humeur”/”changement”/”enjoué”/”divertir”.
Pour que son argumentation soit claire, il emploie la tournure restrictive avec le mode subjonctif, celui du jugement de valeur : “ne servît qu’à les divertir.
Il ne voit donc qu’une seule et unique fonction à la comédie, celle d’être simplement plaisante. pour le dire autrement, la comédie cornélienne n’entre pas dans le champ de l’édification des consciences ; elles ne visent pas à instruire.
Elle a sa propre esthétique dépassant la fonction morale, ce qui est novateur àl’époque.
Il ne déviera jamais de cet objet dans l'épître de la Suite du Menteur (sa dernière pièce comique).
“ Je voudrais que le peuple y eût trouvé autant d’agréable, afin que je vous pusse présenter quelque chose qui eût mieux atteint le but de l’art. Telle qu’elle est, je vous la donne, aussi bien que la première, et demeure de tout mon cœur,”
https://fr.wikisource.org/wiki/La_Suite_du_Menteur/%C3%89p%C3%AEtre
Dans l’article suivant, nous verrons le rôle du mensonge.
repère à suivre : le rôle du mensonge
source
Forestier, Corneille, sens de la dramaturgie, Sédes