16 Janvier 2025
Bac : nous parvenons au dénouement de la pièce. Dans le cadre de l'étude comédie et mensonge, il s'avère que les moments de vérité vont clarifier la situation sans pour autant faire disparaître... le mensonge.
repère : le bac : Corneille
Concluons l'analyse liée au parcours mensonge/comédie du Menteur de Corneille, selon la progression suivante :
1. l'introduction à l'œuvre : contexte, origine et nature de la pièce
Nous achevons la première partie de notre dossier consacrée au mensonge comme moyen utilisé dans la stratégie de la comédie.
Depuis le début, ainsi que vous le savez, la Gazette vous propose un tableau d'analyse qui reprend le code couleur vu dans les précédents actes : vérité / mensonge/ quiproquo / artifice, ce qui permet de mesurer l'avancée des procédés de tromperie dans chaque scène.
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Nous parvenons au dénouement de la pièce. Dans le cadre de l'étude comédie et mensonge, il s'avère que les moments de vérité vont clarifier la situation sans pour autant faire disparaître le mensonge.
Ainsi la vérité commence à se faire jour et rattrape le héros cornélien. Dès la scène 1, Géronte apprend de Philiste la mystification du mariage secret : "Mais il a le talent de bien imaginer.” (scène 1 v. 1476)
Cela donnera lieu à une confrontation violente entre le père et le fils à la scène 3. À cette occasion, Dorante, s’il ne ment pas vraiment, ne s'exprime pas avec sincérité. Il essaye de donner le change en répliquant à son père : « Qui vous dit que je mens ? » (sc3, v 1528). Puis devant la colère de son père, il se sent obligé de dire la vérité, qui n'est pas formellement exacte puisqu’il reprend le quiproquo initial dans son aveu d'amour à Lucrèce : pour lui, il s’agit de « …la pure vérité » (v1558). C'est encore un ressort de la comédie.
La situation de la pièce se change puisque le fils se met à éprouver de la crainte vis-à-vis de son père qui, jusque-là, était complaisant : ce dernier, en le désavouant, revêt le rôle traditionnel du père autoritaire exerçant un droit de vie ou de mort. Sur le plan de la comédie cornélienne, nous nous trouvons en en présence d'un véritable péril lorsqu’il est dit : « Je jure les rayons du jour qui nous éclaire/Que tu ne mourras point que de la main d'un père/Et que ton sang indigne à mes pieds répandu/rendre à prompte justice à mon honneur perdu » (sc 3, v 1597)
Dorante en est tout retourné lorsqu’il confie à son valet à la scène suivante : « D’un trouble tout nouveau j'ai l'esprit agité » (sc 4, v1601).
Il faut questionner la démarche de vérité entreprise par Dorante et la scène 4 nous permet de lire dans le cœur du héros cornélien grâce au dialogue sans fard avec son valet, sur le schéma de celui des actes 1, 2,3.
La révélation de l’amour envers Lucrèce, aveu de sincérité ou résultat d’une contrainte ?
Il s'avère que c'est la contrainte qui a joué dans la confession du fils. On apprend, en effet, qu’il s'agit d'une feinte puisqu'il dit : « C'était le seul moyen d'apaiser sa colère » (sc 4, V1629).
Dorante a remarqué la vraie Lucrèce par mimétisme avec son valet. Il explique que le mariage secret avait pour finalité de lui permettre de gagner du temps pour choisir entre les deux jeunes filles : « Avec ce faux hymen j'aurais eu le loisir/ D’en consulter mon cœur, et je pourrais choisir. » (Sc4 V 1631). Il est donc pris au piège par son père et cet aveu ne se comprend que dans les limites évoquées.
Pour l’heure, il est coincé et croit choisir la vraie Lucrèce puisque le premier quiproquo persiste à la scène 3. C'est dans cet esprit que l'on comprend que Dorante plaide sa cause avec sincérité tandis que Clarice-Lucrèce se positionne face à lui à la scène 6 : cette dernière déclaration joue un rôle décisif : il va enfin se rendre compte de sa méprise.
En révélant son amour et ses mensonges, en regardant Clarice, le jeu de scène ainsi que les paroles échangées entre elles par les deux jeunes filles montrent le décalage entre celui qui dit les mots et celle qui prétend les recevoir. Il finit par s’en apercevoir.
Et c'est alors que le premier quiproquo disparaît. Ne voulant pas perdre la face, il réagit vite en disant : « Bonne bouche, j’en tiens ; mais l’autre la vaut bien » (Sc 6 V 1724). Il en profite pour échafauder une nouvelle feinte comme il le dit à son valet : « Tu vas me voir, Cliton, jouer un nouveau jeu » sc 6 V1728.
Il s'en sort grâce à son esprit vif et par un nouveau mensonge : il utilise le vocabulaire galant pour persuader les deux jeunes filles de sa sincérité : « Elle avait mes discours, mais vous aviez mon cœur » Sc 6, V 1768. Et cet aveu trouve sa confirmation par la demande en mariage en bonne et due forme faite, au préalable, par Géronte au père de Lucrèce.
Il s'agit d'un véritable tour de force du héros cornélien qui échappe au péril. Notons que le deuxième quiproquo ne sera, lui, jamais levé : les jeunes filles ne sauront jamais la méprise de Dorante à leur égard.
Dans cet acte, un autre personnage mène l’intrigue : Sabine.
Sabine
Cette dernière ment à la scène 5 en indiquant à Dorante que sa lettre a été déchirée sans avoir été lue. Mais ce mensonge est bref puisqu'elle le révèle en disant : « Elle m'avait donné charge de vous le dire » (1654) : c'est l'heure de la révélation, mais nous verrons à la dernière scène que le mensonge n'a pas totalement disparu.
En effet, le ressort comique persiste avec les deux derniers mensonges et émanant de Clarice et de Lucrèce. Il faut noter que le coup de théâtre produit chez elles des sentiments contrastés. L'auteur nous révèle la profondeur de leur surprise par le silence relevé par Alcippe qui dit : "êtes-vous aujourd'hui muette toutes deux ?" (scène 7, V 1792). Cette réplique a valeur d'interpellation.
Prise sur le fait, elles vont s'exprimer de manière commune, par un dernier mensonge.
Clarisse dit : « mon père assure mes vœux une entière puissance » ;
Lucrèce, dans le même ordre, indique faussement : "le devoir d'une fille est dans l'obéissance".
Il s'agit de deux mensonges tirés d'une fausse soumission au père alors qu'elles ont entrepris, l'une comme l'autre, des démarches pour choisir leur futur mari.
Pour Clarice, c'est la défaite ; pour Lucrèce c'est la victoire.
Il s'agit pour l'une cacher son orgueil blessé, et pour l'autre de dissimuler sa victoire complète.
Dans un prochain article, nous analyserons dans notre parcours Mensonge et comédie, le mensonge comme une fin en soi...
Repère à suivre : le mensonge, comme une fin en soi