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Analyse-Livres & Culture pour tous

Gazette littéraire

Acte V du "Menteur" de Corneille : le dénouement

Bac : nous parvenons au dénouement de la pièce. Dans le cadre de l'étude comédie et mensonge, il s'avère que les moments de vérité vont clarifier la situation sans pour autant faire disparaître... le mensonge.

le menteur, Corneille, acte V, dénouement, comédie, mensonge, analyse, explication
Illustrations, Pauquet, 1851

 

repère : le bac : Corneille

Dossier

Concluons l'analyse liée au parcours mensonge/comédie du Menteur de Corneille, selon la progression suivante :

Tableau

Nous achevons la première partie de notre dossier consacrée au mensonge comme moyen utilisé dans la stratégie de la comédie.

Depuis le début,  ainsi que vous le savez, la Gazette vous propose un tableau d'analyse qui reprend le code couleur vu dans les précédents actes : vérité / mensonge/ quiproquo / artifice, ce qui permet de mesurer l'avancée des procédés de tromperie dans chaque scène.

 

Actes/ lieu/

personnages

 

fin de matinée

place royale

Dorante

Confrontation avec son père (Sc3) :”Qui vous dit que je mens”  V1528

Aveu d’amour pour Lucrèce : “Non la pure vérité”  Sc 3 V1558. 

Pour garant de sa confession : cf. son valet  Sc 3 V 1580

Peur  du Père : Sc4 V 1601 : “ D'un trouble tout nouveau j'ai l'esprit agité”

Sentiment exagéré pour Lucrèce  : “Il ne m'aurait pas cru si je ne l'avais fait” Sc 4 V 16 27

Aveu : “C'était le seul moyen d'apaiser sa colère” Sc 4 V1629

Hésitation du coeur  : “Avec ce faux hymen j'aurais eu le loisir/ D'en consulter mon cœur, et je pourrais choisir” Sc 4 V1631

confusion Sc 4 1635

conversation avec Sabine : demande encore son intervention (Sc 5)

Dorante plaide sa cause à Clarice au lieu de Lucrèce sc 6 V 1672 : il lui révèle son amour et ses mensonges à cette fin.

Il comprend le quiproquo : Lucrèce/Clarice 

il ne veut pas perdre la face et se rabat sur la vraie Lucrèce : “Bonne bouche, j’en tiens ; mais l'autre la vaut bien Sc6 V1724. 

Annonce de sa ruse : “ Tu vas me voir, Cliton, jouer un nouveau jeu” Sc6 V17 28

duperie de Dorante envers Clarice pour cacher son véritable amour pour Lucrèce : “Elle avait mes discours mais vous aviez mon cœur.”  (Sc6 V1768) 

preuve de sa bonne foi : demande en mariage de son père à celui de Lucrèce sc 6 V 1677)

Clarice

conseil à son amie : “Il peut te dire vrai, mais ce n'est pas son vice (Sc6 V1670) 

double quiproquo : Dorante s’adresse à Clarice au lieu de Lucrèce : On dirait qu'il m'en veut, et c'est moi qui le regarde. (sc 6 V 1673)

Rivalité entre amies Sc6 V1684

Pour elle, nouveau mensonge de Dorante Sc7 v1686 : “Il te flatte de nuit, et mon compte de jour” SC7 V1689

Confrontation sur les deux amours en balance sc 6

confusion avant d’interpeller Lucrèce Sc6 V 1717

annonce de son mariage et de celui de son amie : silence : 

explication : “Mon père a sur mes vœux une entière puissance” sc7 V1793

Lucrèce

incrédulité obstinée : quiproquo : “Quelques regards sur toi sont tombés par mes gardes/voyons s'il continue. (Sc 6 V 1674) 

Rivalité entre amies (Sc 6 V168o 1681)

Confusion, volonté de vengeance Sc6 V1693)

annonce de son mariage et de celui de son amie : silence : 

explication : “Le devoir d'une fille est dans l'obéissance”

Cliton

conseil à son maître : “Dites que le sommeil vous l'a fait oublier” Sc 3 1531

ironie : Appeler la mémoire ou l'esprit au secours ( Sc 3 V1536 rappel du v 1261

raillerie (sc 4 V 1603).

Défiance sur les sentiments de son maître pour Lucrèce : nouvelle ruse (Sc 4 V 1610). 

Exagération des sentiments si nouveau pour elle  (Sc 4 V 1625)

lucidité sur le nouveau mensonge : paradoxe : “Quoi même en disant vrai vous mentiez en effet (Sc 4 1628)

lucidité du valet et révélation de la feinte des femmes. (Sc 6 V 1721)

anti-morale du valet : “apprenez à mentir” (SC 7 V 1804)

Alcippe

confirmation par les parents du prochain mariage avec Clarice.

critique du silence des deux femmes. 

Philiste

il révèle à Géronte le mensonge du mariage de Dorante : Sc1 : “ Mais il a le talent de bien imaginer” V 1476

Isabelle

/
Analyse

Nous parvenons au dénouement de la pièce. Dans le cadre de l'étude comédie et mensonge, il s'avère que les moments de vérité vont clarifier la situation sans pour autant faire disparaître le mensonge.

Ainsi la vérité commence à se faire jour et rattrape le héros cornélien. Dès la scène 1, Géronte apprend de Philiste la mystification du mariage secret : "Mais il a le talent de bien imaginer. (scène 1 v. 1476)

Cela donnera lieu à une confrontation violente entre le père et le fils à la scène 3. À cette occasion, Dorante, s’il ne ment pas vraiment, ne s'exprime pas avec sincérité. Il essaye de donner le change en répliquant à son père : « Qui vous dit que je mens ? » (sc3, v 1528). Puis devant la colère de son père, il se sent obligé de dire la vérité, qui n'est pas formellement exacte puisqu’il reprend le quiproquo initial dans son aveu d'amour à Lucrèce : pour lui, il s’agit de « …la pure vérité » (v1558). C'est encore un ressort de la comédie.

La situation de la pièce se change puisque le fils se met à éprouver de la crainte vis-à-vis de son père qui, jusque-là, était complaisant : ce dernier, en le désavouant, revêt le rôle traditionnel du père autoritaire exerçant un droit de vie ou de mort. Sur le plan de la comédie cornélienne, nous nous trouvons en en présence d'un véritable péril lorsqu’il est dit : « Je jure les rayons du jour qui nous éclaire/Que tu ne mourras point que de la main d'un père/Et que ton sang indigne à mes pieds répandu/rendre à prompte justice à mon honneur perdu » (sc 3, v 1597)

Dorante en est tout retourné lorsqu’il confie à son valet à la scène suivante : « D’un trouble tout nouveau j'ai l'esprit agité » (sc 4, v1601).  

Il faut questionner la démarche de vérité entreprise par Dorante et la scène 4 nous permet de lire dans le cœur du héros cornélien grâce au dialogue sans fard avec son valet, sur le schéma de celui des actes 1, 2,3.

La révélation de l’amour envers Lucrèce, aveu de sincérité ou résultat d’une contrainte ?

Il s'avère que c'est la contrainte qui a joué dans la confession du fils. On apprend, en effet, qu’il s'agit d'une feinte puisqu'il dit : « C'était le seul moyen d'apaiser sa colère » (sc 4, V1629).

Dorante a remarqué la vraie Lucrèce par mimétisme avec son valet. Il explique que le mariage secret avait pour finalité de lui permettre de gagner du temps pour choisir entre les deux jeunes filles : « Avec ce faux hymen j'aurais eu le loisir/ D’en consulter mon cœur, et je pourrais choisir. » (Sc4 V 1631). Il est donc pris au piège par son père et cet aveu ne se comprend que dans les limites évoquées.

Pour l’heure, il est coincé et croit choisir la vraie Lucrèce puisque le premier quiproquo persiste à la scène 3. C'est dans cet esprit que l'on comprend que Dorante plaide sa cause avec sincérité tandis que Clarice-Lucrèce se positionne face à lui à la scène 6 : cette dernière déclaration joue un rôle décisif : il va enfin se rendre compte de sa méprise.

En révélant son amour et ses mensonges, en regardant Clarice, le jeu de scène ainsi que les paroles échangées entre elles par les deux jeunes filles montrent le décalage entre celui qui dit les mots et celle qui prétend les recevoir. Il finit par s’en apercevoir.

 Et c'est alors que le premier quiproquo disparaît. Ne voulant pas perdre la face, il réagit vite en disant : « Bonne bouche, j’en tiens ; mais l’autre la vaut bien » (Sc 6 V 1724). Il en profite pour échafauder une nouvelle feinte comme il le dit à son valet : « Tu vas me voir, Cliton, jouer un nouveau jeu » sc 6 V1728.

Il s'en sort grâce à son esprit vif et par un nouveau mensonge : il utilise le vocabulaire galant pour persuader les deux jeunes filles de sa sincérité : « Elle avait mes discours, mais vous aviez mon cœur » Sc 6, V 1768. Et cet aveu trouve sa confirmation par la demande en mariage en bonne et due forme faite, au préalable, par Géronte au père de Lucrèce.

Il s'agit d'un véritable tour de force du héros cornélien qui échappe au péril. Notons que le deuxième quiproquo ne sera, lui, jamais levé : les jeunes filles ne sauront jamais la méprise de Dorante à leur égard.

Dans cet acte, un autre personnage mène l’intrigue : Sabine.

Sabine

Cette dernière ment à la scène 5 en indiquant à Dorante que sa lettre a été déchirée sans avoir été lue. Mais ce mensonge est bref puisqu'elle le révèle en disant : « Elle m'avait donné charge de vous le dire » (1654) : c'est l'heure de la révélation, mais nous verrons à la dernière scène que le mensonge n'a pas totalement disparu.

En effet, le ressort comique persiste avec les deux derniers mensonges et émanant de Clarice et de Lucrèce. Il faut noter que le coup de théâtre produit chez elles des sentiments contrastés. L'auteur nous révèle la profondeur de leur surprise par le silence relevé par Alcippe qui dit : "êtes-vous aujourd'hui muette toutes deux ?" (scène 7, V 1792). Cette réplique a valeur d'interpellation.

Prise sur le fait, elles vont s'exprimer de manière commune, par un dernier mensonge.

Clarisse dit : « mon père assure mes vœux une entière puissance » ;

Lucrèce, dans le même ordre, indique faussement : "le devoir d'une fille est dans l'obéissance".

Il s'agit de deux mensonges tirés d'une fausse soumission au père alors qu'elles ont entrepris, l'une comme l'autre, des démarches pour choisir leur futur mari.

Pour Clarice, c'est la défaite ; pour Lucrèce c'est la victoire.

Il s'agit pour l'une cacher son orgueil blessé, et pour l'autre de dissimuler sa victoire complète.

Dans un prochain article, nous analyserons dans notre parcours Mensonge et comédie, le mensonge comme une fin en soi...

Repère à suivre : le mensonge, comme une fin en soi

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