Analyse-Livres & Culture pour tous
11 Juin 2024
Bac 2024 : voici, aujourd'hui, la première partie de notre entraînement au commentaire avec l'extrait "Les Cerfs-volants" de Romain Gary. Nous travaillerons, si vous le voulez bien, avec la to-do list du commentaire composé, comme pour le premier sujet de Musset.
Voici la progression de l'exercice :
repères : temps des examens : sujet donné
Mettre d’abord son plan type CIIGARE sur son brouillon, en laissant beaucoup de place dans le tableau pour le compléter au fur et à mesure (rappel : 4 colonnes X 2 ) :
Titre I |
Titre II |
I.A Cadre spatio-temporel
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II.A genre : originalité |
I.B impressions
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II.B Argumentation de l’auteur |
I.C Les sens
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II.C Registres du texte |
Bien lire le paratexte (texte introduisant le texte) en soulignant les mots clefs pour éviter les contresens et regardez la date de l’œuvre qui donne des indications sur le courant littéraire (siècle)
Lorsqu'il avait dix ans, alors qu'il jouait dans les environs de la ferme où il vit, le narrateur a rencontré une jeune fille dont il est immédiatement tombé amoureux : Elisabeth de Bronicka, surnommée Lila, en vacances dans une maison de famille. Quatre années plus tard, il est invité chez elle; l'extrait s'ouvre au moment où, après ces retrouvailles, il rentre chez lui.
Romain GARY [1914-1980], Les Cerfs-volants, Chapitre VI, 1980 : littérature du XXe siècle.
Bien lire le texte, surveillez-vous, évitez les contresens en vous posant des questions. Si vous n'y comprenez rien du tout, optez rapidement pour la dissertation, sauf si vous n'en avez jamais fait...
Pour le 2A : se souvenir des éléments clés dans les fiches de révision fiche roman
Coloriez maintenant selon le code couleurs avec la méthode des 6 GROSSES CLEFS : pensez aux cases "faciles" du plan type : 1A et 1C et 2C. Attention : on ne fait pas un catalogue, on souligne l'étonnant, ce qui n’est pas normal=original.
"Je rentrai chez moi résolu à devenir “quelqu'un”, et ce dans les plus brefs délais, de préférence avant le départ de mes nouveaux amis (1), ce qui se traduisit par une forte fièvre : je dus garder le lit pendant plusieurs jours. Au cours de mon délire, je découvris en moi le pouvoir de conquérir les galaxies et recueillis des lèvres de Lila un baiser en guise de re- merciement. Je me souviens qu'au retour d'une planète particulièrement hostile, après une expédition au cours de laquelle j'avais fait cent mille prisonniers nubiens(2) - j'ignorais le sens du mot nubien, mais il me paraissait convenir admirablement à ces prédateurs interstellaires- j'avais revêtu, afin d'offrir mon nouveau royaume en hommage à Lila, un costume si chargé de pierreries, qu'il y eut soudain parmi les plus brillantes étoiles une véritable panique, à la vue de cet intense rayonnement qui montait d'une terre n'ayant tenu jusque-là qu'une place très modeste parmi les années-lumière.
Ma maladie prit fin de la plus douce des façons. Il faisait très sombre dans ma chambre ; les volets étaient fermés, les rideaux tirés, car on craignait que la rougeole (3) ne se déclarât brutalement après ces quelques jours d'hésitation et, à cette époque, un des aspects du traitement était de garder le malade dans le noir, afin de protéger ses yeux. Le docteur Gardieu se montrait d'autant plus inquiet que j'avais déjà quatorze ans et la rougeole avait du retard. Il devait être midi, à en juger par la lumière qui s'engouffra dans la chambre lorsque la porte s'ouvrit et Lila apparut, suivie par le chauffeur, Mr. Jones, les bras chargés d'une énorme corbeille de fruits ; derrière elle venait mon oncle, qui ne cessait de mettre en garde Mademoiselle contre le risque de fatale contagion. Lila resta un moment à la porte et, malgré mon extrême émoi (4), je ne pus m'empêcher de sentir ce qu'il y avait de prémédité dans cette pose qu'elle gardait sur fond de clarté, jouant d'une main avec sa chevelure. S'il s'agissait bien de moi dans cette visite, il y avait là avant tout un moment théâtral, celui d'une jeune fille amoureuse qui vient se pencher sur le lit d'un mourant, ce qui, sans exclure réellement l'amour et la mort, les faisait néanmoins passer au rang d'accessoires. Pendant que le chauffeur déposait sur la table la corbeille de fruits exotiques, Lila garda encore quelques instants sa pose, puis traversa vivement la chambre, vint se pencher sur moi et m'effleura la joue d'un baiser, cependant que mon oncle rappelait une fois de plus à Mademoiselle la puissance saisissante et néfaste des microbes dont mon corps était peut-être chargé.
- Tu ne vas quand même pas mourir de maladie ? me demanda-t-elle, comme si elle attendait de moi quelque tout autre et admirable façon de quitter la terre.
-Ne me touche pas, tu vas peut-être l'attraper.
Elle s'assit sur le lit.
- À quoi ça sert d'aimer quelqu'un, si on a peur de l'attraper ?
Une vague de bonne chaleur me monta à la tête.”
Romain GARY [1914-1980], Les Cerfs-volants, Chapitre VI, 1980.
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1. mes nouveaux amis : le narrateur désigne ainsi la famille de Lila qu'il vient de rencontrer.
2. nubiens: peuple d'Afrique du Nord-Est.
3. rougeole: maladie infantile potentiellement mortelle, que l'on craignait particulièrement avant la généralisation de la vaccination.
4. émoi : émotion vive, trouble, agitation.
Voici les explications qui vont avec l'analyse coloriée :
1/Grammaire
Composition en trois paragraphes = 3 idées. Pensez à découper votre texte en partie : cela vous sera utile pour comprendre l’enjeu de ce qui est dit (sa progression). Attention ! Ce n’est pas un commentaire linéaire…
On note deux paragraphes au style indirect et le dernier au style direct : volonté de donner le contexte, puis d’arriver au moment décisif avant enfin de rendre compte de l’intimité des personnages, à la fin.
On est dans le cercle privé d’une chambre (rideaux, table, lit).
Point de vue interne : le narrateur se remémore précisément son premier émoi amoureux : il s’agit de le retracer comme un souvenir fantasmé et assumé en tant que tel. Cela permet à Gary de convoquer le domaine de l’imaginaire : registres de l’épopée, de l’exaltation lyrique des sentiments, de l’ironie.
a) Style indirect
Importance de la ponctuation (, ; : –) accompagnant des phrases longues et complexes : choix de l’auteur de recourir à des propositions indépendantes coordonnées ou juxtaposées pour donner au récit un rythme soutenu, un effet vif. Il s’agit pour le narrateur de rendre compte d’un souvenir en train d’être remémoré, ce qui confère au texte une certaine fraîcheur.
On trouve aussi des propositions subordonnées complétives, relatives, infinitives chargées de donner de nombreuses précisions dans un souci scrupuleux de ne rien oublier et de revivre la scène (choix des termes, souvenir du rêve et de la venue de Lila).
On a affaire à un texte qui comprend en grand nombre des locutions de temps, ce qui donne un effet rythmé facile à exprimer : lorsque, avant/après, pendant, soudain, etc.
Il faut relever qu’à deux occasions, l’auteur utilise le style indirect libre rendant compte avec le terme « Mademoiselle » répété deux fois suggérant une subjectivité propre au discours direct : il est question ici de montrer la déférence de l’oncle à l’égard de la riche visiteuse qui n’est pas du même milieu social (cf. son chauffeur et sa corbeille de fruits exotiques). C’est ce qui permet d’introduire ensuite le style direct entre Lila et le malade.
b) Style direct
Il s’agit d’un court dialogue qui commence et s’achève par la seule volonté de la jeune fille. Cette dernière rompt le silence et s’adresse au malade : le tutoiement entre eux dénote une proximité.
On voit deux phrases à la forme négative : il s’agit d’une tournure d’esprit pour Lila alors que l’expression est au sens propre pour le narrateur qui cherche à la protéger de sa « maladie ». Décalage entre les deux personnages.
La discussion est faite à partir de deux phrases interrogatives de Lila : la première montre la connivence entre les deux personnages « quand même “et ‘comme si’ : ils partagent un imaginaire commun, un univers fantasmagorique. Lila accepte de se situer sur un terrain ludique, enfantin.
La même idée est reprise dans la seconde interrogation avec la conjonction de subordination ‘si’ qui est utilisée pour affirmer une déclaration d’amitié.
2/Oppositions :
La première opposition est à relever entre les personnages, puis dans les sentiments et les mouvements de la scène ainsi que dans la topographie sous-tendant l’action.
a) entre les personnages
La figure du narrateur, garçon de 14 ans et ses nombreuses projections fantasmées de lui-même : ‘quelqu’un’/chevalier interstellaire/mourant.
On a aussi une opposition entre Lila et le malade au 2e paragraphe : ‘jeune fille amoureuse’/‘mourant’ : le cœur de la scène avec en périphérie deux hommes, l’oncle et le chauffeur : l’un qui dissuade, l’autre qui dépose la corbeille ; deux personnages secondaires dans le récit.
b) les sentiments et le jeu de scène
On passe de l’émoi à l’amour avec ‘vague de bonne chaleur’ : signe d’un moment mémorable dans la vie du narrateur.
On note l’opposition entre l’amitié de Lila signifiée par ‘aimer quelqu’un’ et ‘me monta à la tête’ : embrasement du jeune garçon qui y voit, lui, de l’amour.
Notons l’opposition entre le délire du malade et sa fièvre qui le cloue au lit. On a ainsi le mouvement immobile/mobile au 1er paragraphe.
C’est l’inverse au 2e paragraphe : elle se tient immobile par peur de la contagion, puis s’avance vers le malade avant de s’asseoir : on a le mouvement debout/assis : proximité affective.
c) la topographie
On a l’opposition : dedans/dehors : chambre/volet et chambre/espaces intergalactiques.
à l'intérieur : on l'opposition entre: porte/lit : recentrage de la scène du loin au près
3/ Les sens : on deux sens : la vue et le toucher
a) la vue : c'est le sens de la mise en scène, ‘théâtral’
-1er paragraphe : dans son délire, le narrateur a besoin d’être vu comme un super héros par Lila : rôle de la lumière, des pierreries, la courtoisie médiévale (hommage, etc.) etc.
-2e paragraphe : on a une ambiance très particulière avec une mise en scène ombre/lumière pour évoquer ce premier émoi amoureux du narrateur, le fantasme de la jeune fille amoureuse de lui…
b) le toucher : le sens de l’amour.
C’est Lila qui embrasse légèrement le jeune homme : ‘effleura’ : on note donc que c’est furtif. L’amour dont elle parle ressemble davantage à de l’affection : cf. la manière de l’embrasser et de lui parler comme à un enfant.
4/ Conjugaison
On a affaire à un récit conjugué essentiellement à l’indicatif : au passé avec classiquement des descriptions à l’imparfait et des actions soudaines au passé simple.
Notons l’emploi du présent de l’indicatif ‘Je me souviens’ qui situe le cadre de l’action dans une remémoration d’un passé révolu.
Dans le dernier paragraphe, la valeur du présent est celle d’une vérité générale : ‘À quoi ça sert d’aimer quelqu’un, si on a peur de l’attraper ?’ : un sentiment que l’on porte à un enfant.
On relève le futur proche avec le verbe ‘tu ne vas pas mourir’ : sollicitude de Lila pour le petit malade.
Impératif : ne me touche pas : valeur de conseil : il cherche à la protéger.
5/ Champs lexicaux
3 importants :
6/ Figures de style : il s’agit de rendre ce souvenir toujours vivant : plaisir du narrateur à redire dans le détail les moments vécus.
On note deux scènes fantasmées :
Boite 1 Personnification : prédateurs interstellaires, les plus brillantes étoiles une véritable panique Métaphore : ‘moment théâtral’ ‘accessoires’ : fantasme, imaginaire une vague de bonne chaleur : périphrase pour parler de l’amour |
Boite 3 Répétitions : nubien/corbeille de fruits/mademoiselle : pour la joie de se remémorer Répétition : l’attraper : connivence Redondance : sombre, noir : besoin de repréciser énumération : volets, rideaux/saisissante et néfaste |
Boite 2 Antithèse : devenir quelqu’un/se traduisit par une forte fièvre : ironie Intense rayonnement/place très modeste |
Boite 4 : Emphase : conquérir des galaxies, intense rayonnement, cent mille prisonniers, hommage : registre épique |
Il vous reste à compléter votre plan avec tous ces éléments et à trouver le titre de vos sous-parties et parties. Vous serez à même de trouver votre problématique...
Attention !
repère à suivre : plan des Cerfs-Volants (Gary)