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Analyse-Livres & Culture pour tous

Gazette littéraire

"Les Deux Consolés" (Voltaire) : oppositions, sens, conjugaison, champs lexicaux et figures de style

Bac de français 2023 : depuis quelque temps, nous travaillons un texte d'argumentation donné cette année au bac  : il s'agit d'un conte philosophique de Voltaire, intitulé les Deux Consolés que nous allons étudier avec la méthode des GROSSES CLEFS © : après avoir examiné la grammaire, il vous est proposé aujourd'hui, de prendre connaissance des autres clefs afin de comprendre toutes les intentions de l'auteur. 

Voltaire, les deux consolés, commentaire, explication, méthode

 

Repères  : thème des examens : le commentaire de français

Méthode

Je vous rappelle la méthode d'analyse mise au point par la Gazette : il s’agit de colorier le texte sous six angles à l'aide du moyen mnémotechnique suivant : 

       6           GROSSES                                      CLEFS

Gr : grammaire                               C : Conjugaison

OS : oppositions                            le : champ lexical 

SE : les 5 sens                            FS : figures de style

 

Dans l'article précédent, nous avons analysé la partie coloriée en bleu et qui correspond dans notre méthode à la grammaire. Il nous reste à examiner le sens et la portée des autres clefs. Il vous est proposé de retrouver l'ensemble du texte déjà analysé :

"Le grand philosophe Citophile disait un jour à une femme désolée, et qui avait juste sujet de l’être : « Madame, la reine d’Angleterre, fille du grand Henri IV, a été aussi malheureuse que vous : on la chassa de ses royaumes ; elle fut près de périr sur l’Océan par les tempêtes ; elle vit mourir son royal époux sur l’échafaud.

 J’en suis fâchée pour elle, dit la dame ; » et elle se mit à pleurer ses propres infortunes.

« Mais, dit Citophile, souvenez-vous de Marie Stuart : elle aimait fort honnêtement un brave musicien qui avait une très-belle basse-taille. Son mari tua son musicien à ses yeux ; et ensuite sa bonne amie et sa bonne parente, la reine Élisabeth, qui se disait pucelle, lui fit couper le cou sur un échafaud tendu de noir, après l’avoir tenue en prison dix-huit années.

 Cela est fort cruel, répondit la dame ; » et elle se replongea dans sa mélancolie.

« Vous avez peut-être entendu parler, dit le consolateur, de la belle Jeanne de Naples, qui fut prise et étranglée ?

— Je m’en souviens confusément, » dit l’affligée.

« Il faut que je vous conte, ajouta l’autre, l’aventure d’une souveraine qui fut détrônée de mon temps après souper, et qui est morte dans une île déserte.

— Je sais toute cette histoire, » répondit la dame.

« Eh bien donc, je vais vous apprendre ce qui est arrivé à une autre grande princesse à qui j’ai montré la philosophie. Elle avait un amant, comme en ont toutes les grandes et belles princesses. Son père entra dans sa chambre, et surprit l’amant, qui avait le visage tout en feu et l’œil étincelant comme une escarboucle ; la dame aussi avait le teint fort animé. Le visage du jeune homme déplut tellement au père qu’il lui appliqua le plus énorme soufflet qu’on eût jamais donné dans sa province. L’amant prit une paire de pincettes et cassa la tête au beau-père, qui guérit à peine, et qui porte encore la cicatrice de cette blessure. L’amante, éperdue, sauta par la fenêtre et se démit le pied ; de manière qu’aujourd’hui elle boite visiblement, quoique d’ailleurs elle ait la taille admirable. L’amant fut condamné à la mort pour avoir cassé la tête à un très-grand prince. Vous pouvez juger de l’état  était la princesse quand on menait pendre l’amant. Je l’ai vue longtemps lorsqu’elle était en prison ; elle ne me parlait jamais que de ses malheurs.

— Pourquoi ne voulez-vous donc pas que je songe aux miens ? lui dit la dame.

— C’est, dit le philosophe, parce qu’il n’y faut pas songer, et que, tant de grandes dames ayant été si infortunées, il vous sied mal de vous désespérer. Songez à Hécube, songez à Niobé.

— Ah ! dit la dame, si j’avais vécu de leur temps, ou de celui de tant de belles princesses, et si pour les consoler vous leur aviez conté mes malheurs, pensez-vous qu’elles vous eussent écouté ? »

Le lendemain, le philosophe perdit son fils unique, et fut sur le point d’en mourir de douleur. La dame fit dresser une liste de tous les rois qui avaient perdu leurs enfants, et la porta au philosophe ; il la lut, la trouva fort exacte, et n’en pleura pas moins. Trois mois après il se revirent, et furent étonnés de se retrouver d’une humeur très-gaie. Ils firent ériger une belle statue au Temps, avec cette inscription :

 

À CELUI QUI CONSOLE."

Voltaire, les Deux Consolés (1756)

Les oppositions

On peut noter une opposition dans le cadre spatial : au début, le philosophe rend manifestement visite à la femme, enfermée chez elle, pleine de chagrin. Le lendemain, c'est, cette fois, la femme qui se rend chez le philosophe endeuillé pour lui rejouer la scène  "et la porta au philosophe ". Ce sont donc deux scènes en miroir qui entrent dans un cadre intime, celui d'une amitié dans un boudoir, où l'on se reçoit au XVIIIe siècle. L'intimité entre les deux se mesure à l'empressement de l'un à consoler l'autre.

La principale opposition de l'apologue concerne ainsi le philosophe/la femme : l’un, savant et désireux de consoler à tout prix, "souvenez-vous/« Il faut que je vous conte,/ je vais vous apprendre" et l’autre, une faible femme qui subit, sans la désirer, la leçon : « se mit à pleurer/ et elle se replongea dans sa mélancolie/ Je m’en souviens confusément, ».

L’argumentation du philosophe repose, en outre, sur l'opposition entre les têtes couronnées et le commun des mortels représenté par la femme : « j’en suis fâchée pour elle ». Il est tant de se demander le sens de ce parallèle. Le philosophe se fonde sur l'adage selon lequel le malheur des uns fait le bonheur des autres. Cela adoucirait la peine des autres dans notre texte. C'est une philosophie particulièrement cynique qui est mise dans la bouche de Citophile. Pour la disqualifier, Voltaire ajoute une succession d'oppositions entre les souverains eux-mêmes, mélangeant les titres : roi/reine/princesses, puis entre époux/femme/amants/père lorsque les souverains ne sont pas nommés : ex. Marie Stuart/Elisabeth 1er etc…

Quel est l'effet voulu ?

Ce catalogue historique donne au fond un sentiment de désordre amoureux dans la vie de ces personnages fameux ; ils forment en réalité de vrais contre-modèles, ce qui disqualifie la démonstration du pseudo-philosophe.

S’agissant des personnages de l’Antiquité, la référence n'est guère heureuse : Hécube est la reine de Troie réduite avec ses filles en esclavage après la destruction de la ville et Niobé, reine de Thèbes, a perdu tous ses enfants : ce sont des exemples particulièrement sanglants qui, pour cette raison, n’ont pas vocation à consoler une mère…

Notons enfin l’opposition entre le début et la fin du texte : le chagrin éprouvé tant par la femme que par le philosophe "larmes, pleurs/ mourir de douleur " cède à la joie « humeur très-gaie » par le rôle du temps, seul consolateur…

Sens

Deux sens majeurs sont présents dans ce texte : la vue qui sert à évoquer les supplices "un échafaud tendu de noir", et le toucher pour parler de la manière dont les contre modèles sont mis à mort (couper/étrangler…).

En arrière-fond, on trouve un troisième sens, l’ouïe « entendu/écouté » qui a trait à la réception de la leçon de la philosophie : on a vu que c’est une fausse philosophie.

La conjugaison

Le texte comprend une mise en abyme, des récits particuliers dans le récit principal, racontés à différents modes et temps pour donner un rythme expressif.

Il faut noter que le conte philosophique proprement dit (phrase introductive et dernier paragraphe) est écrit au passé de l'indicatif avec le recours à l’imparfait et au passé simple (action soudaine) pour satisfaire au respect du genre narratif.

Dans le dialogue, on note, en revanche, l’emploi de plusieurs modes :

a) le philosophe

On retrouve d’abord l’indicatif dans la bouche du philosophe qui sert à illustrer dans la narration les faits rapportés au passé composé/imparfait qui sont entrecoupés avec le passé simple qui suggère en l’occurrence des actions brèves et sanglantes «chassa/tua » etc… Il recourt aussi au présent d'énonciation pour donner de la vivacité au récit du passé « je vais vous apprendre »/qui porte encore/elle boite ». On note aussi du présent de vérité générale « comme en ont toutes les grandes et belles princesses. »

Dans sa stratégie argumentative, ce dernier s’appuie, en outre, sur l’impératif « souvenez-vous/songez » qui a une valeur de conseil, d’invitation à suivre sa démonstration. Il utilise enfin le subjonctif pour faire valoir sa haute pensée : « Il faut que je vous conte »

b) la femme

La valeur du présent de l’indicatif dans la bouche de la femme sert à exprimer ce qu’elle ressent au fil de l’échange : cela va crescendo entre j’en suis fâchée (compatissant)/c’est fort cruel (indifférence)/je sais (silence imposé) / ne voulez-vous donc : on a vu que la femme inconsolée s’affirme finalement au terme du dialogue par le biais du présent de l’indicatif, mais pas seulement : elle utilise aussi le subjonctif, qui est le mode de la réflexion « que je songe aux miens ?/ pensez-vous qu’elles vous eussent écouté » et enfin le conditionnel « vous leur aviez conté » : les deux dernières interventions servent à invalider la démonstration de Citophile.

Le champ lexical

Le champ lexical puisé dans les annales historiques est celui du meurtre qui se définit par la violence apportée à la mort. Voltaire a choisi à dessein ce thème récurrent qui effraie plus qu’il ne console. Il a joué donc sur le paradoxe une consolation impossible par la nature même du sujet : "mourir/échafaud/tua/condamné à mort/couper/étranglée" etc…Son argumentation est particulièrement vide de sens.

Un autre champ lexical qui est le corollaire est celui du pouvoir avec les références au trône et aux luttes pour le conserver : « royaume/chassa/détrôné/souverain" etc…

Enfin, Voltaire convoque aussi le champ lexical du corps avec toutes les parties mentionnées « tête/yeux/cou/taille/basse-taille" : on est dans le domaine du bas corporel et donc de la sexualité voilée.

Les figures de style

Dans ce texte, Voltaire recourt à un certain nombre de procédés stylistiques servant à marquer l'ironie pour disqualifier le discours du philosophe. Dans son argumentation,  l'auteur adopte, outre le registre tragique, un registre également didactique : il apporte sa réponse au problème de la mort et du deuil : le temps fait son œuvre.

Vous trouverez les principales figures de style qui entrent dans la stratégie argumentative :

  • Antiphrase : dire le contraire pour souligner l’ironie : « fort honnêtement/ bonne amie et sa bonne parente »
  • Euphémisme : pour dire avec ironie ce qui est de l’ordre de la sexualité et en principe caché : "qui avait le visage tout en feu et l’œil étincelant comme une escarboucle ; la dame aussi avait le teint fort animé/ une très-belle basse-taille/beau-père"
  • Gradation : decrescendo pour tendre à une identification avec le sort tragique des têtes couronnées : "roi/reine/princesses et prince" ou crescendo pour souligner au contraire l’exagération "soufflet/paire de pincettes."
  • Hyperbole : le choix de l’exagération pour marquer l’ironie : "le plus énorme soufflet qu’on eût jamais donné dans sa province/mourir de douleur etc...»
  • Répétition : pour souligner l’absence de nouveaux arguments et donc l’absence de vrai savoir du philosophe : « échafaud, cassa la tête/songez"

Dans l'article suivant, un plan selon la méthode CIIGARE vous sera proposé à partir des observations découlant de la méthode des 6 GROSSES CLEFS ©.

repère à suivre : Problématique et plan du commentaire

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