Analyse-Livres & Culture pour tous
11 Mai 2023
La lettre est un accessoire théâtral très important dans la comédie sentimentale avec l’objectif de voir le triomphe de l’amour. La lettre est donc l’instrument qui permet de percer les secrets des cœurs. Dans l’extrait de la scène, on peut analyser le stratagème se décomposant en trois points : le projet de lettre, l’installation à la table, et enfin l’écriture même d’un billet de trois phrases : “Votre mariage est sûr ; madame veut que je vous l’écrive, et vous attend pour vous le dire. N’attribuez point cette résolution à la crainte que madame pourrait avoir des suites d’un procès douteux. Non, monsieur, je suis chargé de sa part de vous assurer que la seule justice qu’elle rend à votre mérite la détermine. “
repère : bac : les Fausses Confidences (Marivaux)
La problématique de notre étude concerne les mécanismes utilisés par Marivaux pour faire triompher l’amour au travers des quatre stratagèmes suivants :
2. l'élaboration du stratagème : analyse de l'acte 1, scène 2 :
3. le rôle de la lettre : analyse de la lettre dictée acte II, scène 13
4. l’importance de la parole : l’aveu : analyse de l’acte III, scène 12
Dans l’article précédent, nous avons analysé la scène d’exposition, voyons ensemble l’importance du stratagème de la lettre dans la pensée de Marivaux. Précisons que l’objet que constitue la lettre n’est pas propre à cet écrivain, d’autres y ont recours pour faire avancer l’action.
Il s’agit d’un accessoire théâtral qui porte en lui une charge émotionnelle très importante pour notre intrigue. Rappelons que la comédie sentimentale a pour vocation d’assister à la transformation des sentiments afin d’obtenir le triomphe de l’amour. La lettre est donc l’instrument idéal qui permet de percer le secret des cœurs.
Mais dans les Fausses confidences, ce stratagème est utilisé à deux reprises :
Nous allons étudier de manière linéaire un extrait de l’acte II, scène 13 en travaillant avec la méthode des 6 GROSSES CLEFS © :
6 GROSSES CLEFS
Gr : grammaire C : Conjugaison
OS : oppositions le : champ lexical
SE : les 5 sens FS : figures de style
Araminte, d’un air délibéré.
"(...) Il n’y en aura aucune. Ne vous embarrassez pas, et écrivez le billet que je vais vous dicter ; il y a tout ce qu’il faut sur cette table.
Dorante.
Eh ! pour qui, madame ?
Araminte.
Pour le comte, qui est sorti d’ici extrêmement inquiet, et que je vais surprendre bien agréablement par le petit mot que vous allez lui écrire en mon nom. (Dorante reste rêveur, et, par distraction, ne va point à la table.) Eh ! vous n’allez pas à la table ! À quoi rêvez-vous ?
Dorante, toujours distrait.
Oui, madame./
Araminte, à part, pendant qu’il se place.
/Il ne sait ce qu’il fait ; voyons si cela continuera.
Dorante, à part, cherchant du papier.
Ah ! Dubois m’a trompé.
Araminte, poursuivant.
Êtes-vous prêt à écrire ?
Dorante.
Madame, je ne trouve point de papier.
Araminte, allant elle-même.
Vous n’en trouvez point ! En voilà devant vous.
Dorante.
Il est vrai./
Araminte.
/Écrivez. « Hâtez-vous de venir, monsieur ; votre mariage est sûr… » Avez-vous écrit ?
Dorante.
Comment, madame ?
Araminte.
Vous ne m’écoutez donc pas ? « Votre mariage est sûr ; madame veut que je vous l’écrive, et vous attend pour vous le dire. » (À part.) Il souffre, mais il ne dit mot ; est-ce qu’il ne parlera pas ? « N’attribuez point cette résolution à la crainte que madame pourrait avoir des suites d’un procès douteux. »
Dorante.
Je vous ai assuré que vous le gagneriez, madame. Douteux ! il ne l’est point.
Araminte.
N’importe, achevez. « Non, monsieur, je suis chargé de sa part de vous assurer que la seule justice qu’elle rend à votre mérite la détermine. »
Dorante, à part.
Ciel ! Je suis perdu. (Haut.) Mais, madame, vous n’aviez aucune inclination pour lui.
Araminte.
Achevez, vous dis-je. « …qu’elle rend à votre mérite la détermine. » Je crois que la main vous tremble ; vous paraissez changé. Qu’est-ce que cela signifie ? Vous trouvez-vous mal ?
Dorante.
Je ne me trouve pas bien, madame.
Araminte.
Quoi ! si subitement ! cela est singulier. Pliez la lettre et mettez : « À Monsieur le comte Dorimont. » Vous direz à Dubois qu’il la lui porte. (À part.) Le cœur me bat ! Il n’y a pas encore là de quoi le convaincre.
Dorante, à part.
Ne serait-ce point aussi pour m’éprouver ? Dubois ne m’a averti de rien./
Marivaux, les fausses Confidences , acte II scène 13
https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Fausses_Confidences/Acte_II
Comment Marivaux organise-t-il la mise en place de ce stratagème ? Dans l’extrait de la scène, on peut relever trois points selon un plan linéaire :
Il faut considérer l’économie du temps de parole avant d’analyser, d'abord, la mise en place du stratagème ainsi que le prétexte utilisé et enfin la réaction obtenue.
C’est Araminte qui mène secrètement le stratagème : sa prise de parole est d’ailleurs plus longue que celle de Dorante ; ce dernier subit l’action qu’il ne comprend pas. Les didascalies nous le décrivent avec insistance comme “distrait”/”rêveur”/ “toujours distrait”. Ses réponses sont exprimées pour cette raison à la forme exclamative ou interrogative, mais, dans tous les cas, toujours brèves : “Eh ! pour qui, madame”/”Oui, madame.”
Sa gestuelle ajoute à son incompréhension la passivité “ne va point à la table” : il n’a aucune raison de s’asseoir puisqu’il n’écoute pas vraiment Araminte, étant encore sous son charme.
Araminte s’exprime, quant à elle, de manière catégorique comme l’indique la didascalie “air délibéré” : la jeune femme emploie des phrases déclaratives qui se divisent en deux formes : ainsi elle débute par deux négations “n’aura aucune”/”ne vous embarrassez pas” : cela lui permet de l’attirer doucement dans son piège et d’exclure toute possibilité de contestation.
Puis avec habileté, elle change de forme et passe graduellement à la forme affirmative “écrivez”/”je vais”/”il y a tout ce qu’il faut” : cette succession de phrases montre en réalité, par son caractère saccadé, son côté autoritaire.
Cette discussion ne souffre donc pas de discussion comme le suggère, de surcroît, l’emploi de l’impératif. Sur ce dernier point, on passe d’une valeur de conseil “ne vous embarrassez pas” à une valeur d’ordre “écrivez”.
Il ne s’agit pas d’une lettre quelconque, mais d’un format déterminé par sa forme “un billet”, c'est-à-dire un écrit bref.
S’il doit l’écrire lui-même, Dorante n'en sera pas l’auteur puisqu’il n’en connaît pas le contenu. Cette information transparaît de la proposition subordonnée conjonctive “que je vais vous dicter “: Dorante se trouve pris au piège, passif d’une action qui le dépasse et qui se déroule dans une immédiateté avec le futur proche exprimé au présent “je vais” et son pendant “ vous allez”.
Il reste à Araminte à lui expliquer les motifs. Pour cela, elle répond vivement avec une succession de phrases subordonnées relatives donnant un effet de concision et d’exhaustivité. Pour cela, elle recourt à un rythme ternaire “qui est sorti “/”et que je vais”/”que vous allez “ : mais loin d’être limpide, la réponse est en réalité tout à fait obscure avec l’opposition entre “le comte” /”je”/”vous”/”en mon nom”.
Trois personnages sont mis en scène par la volonté d’Araminte comme le suggère le verbe “surprendre” et “en mon nom”.
On assiste à un jeu de manipulation puisque celui qu’elle cherche à surprendre, c’est l’expéditeur, Dorante, et non le destinataire, le comte.
Notons que l'écrit change graduellement de terme lui donnant un contenu moins clair par l’emploi de la périphrase “le petit mot” remplaçant “billet”.
L’effet comique recherché se situe dans le contraste entre l’action d’Araminte et la réaction de Dorante, qui est totalement apathique : en effet, il ne s’étonne pas du procédé de feinte , pire, il ne le conteste par jalousie. Transi d'amour, il est en fait ailleurs.
C’est encore à Araminte de reprendre la main : elle le secoue avec l’emploi de deux phrases exclamatives “Eh ! vous n’allez pas à la table ! “ Cette formulation à la forme négative l’oblige à aller justement s’asseoir, c’est donc une autre manière de faire montre d’autorité. L'interrogation suivante “À quoi rêvez-vous ?” est, quant à elle, de pure forme : elle n’attend pas de réponse du tout. Son objet est de mettre mal à l’aise l’homme qu’elle cherche à provoquer.
2. L’installation à la table
Dans cette partie, il faut noter les didascalies, les apartés et enfin la difficulté dans l’exécution du projet.
La situation des personnages est importante à ce moment de la scène : les didascalies nous renseignent sur l’évolution de la gestuelle. Ainsi on peut voir que ’Araminte reste debout tandis que Dorante s'assoit “pendant qu’il se place.” L’ascendant de la femme en hauteur s’effectue donc sur l’homme, situé plus bas.
On note aussi l’opposition entre Dorante assis et qui est donc immobile alors qu’ Araminte toute à son stratagème est en mouvement en apportant le papier “allant elle-même.”
Cette opposition traduit finalement deux attitudes : l’une choisie par Araminte qui le presse notamment par la voie interrogative, preuve de son insistance “Êtes-vous prêt à écrire ?” ou exclamative “Vous n’en trouvez point !”corroborée par la didascalie“poursuivant” et l’autre qui subit.
Les deux protagonistes utilisent ce même procédé : chacun s’exprime pour soi-même, mais aussi pour le public dans une double énonciation. Araminte non seulement le scrute, mais également le teste. Le rôle de la vue est important avec l’impératif “voyons” : elle considère que l’homme est perdu comme le suggère l’opposition entre sait/fait. Loin de s’en plaindre, elle en éprouve de la satisfaction avec l’emploi du futur qui a une valeur de prédiction. Elle cherche à le tester.
Dorante, pour sa part, n'examine pas Araminte, mais seulement lui-même : il est sorti de sa torpeur amoureuse. Désormais il cherche à comprendre : il joint le mouvement noté dans la didascalie “cherchant du papier” -ce qui désigne sa perplexité- à la parole : “Ah ! Dubois m’a trompé.” C’est par une exclamation que le dépit amoureux est montré : notons que Dorante se pose en victime puisqu’il subit l’action avec le complément d’objet direct “m’a”.
Dans le stratagème, il appartient donc à Dorante d’écrire. Le champ lexical de la correspondance est présent avec les termes vus plus haut “billet” /”petit mot” auxquels on peut ajouter “la table”, “le papier”, “écrire”.
Or, il s’avère que la tâche n’est pas aisée : après avoir dû s’asseoir, il ne trouve pas, cette fois, le papier comme sa gestuelle au travers de la didascalie vue plus haut. Cette circonstance est reprise par les mots de Dorante sous forme de phrase à la voix négative “Madame, je ne trouve point de papier.” Il freine l’action qu’il ne veut pas effectuer.
C’est alors Araminte qui reprend l’affaire en main en lui fournissant le nécessaire à écrire exprimé sous forme concise avec la tournure indéfinie “ En voilà”.
3. L’écriture de la lettre
Le stratagème est en place, il ne reste plus qu’à le dérouler : il s’agit de voir la manière dont le texte est dicté par Araminte, la portée de ses mots et enfin la réaction d’Araminte et de Dorante durant l’épreuve.
On assiste à la convocation de trois sens, l'ouïe, le toucher et la vue qui font la part belle au corps qui est aux prises dans ce stratagème amoureux.
On compte quatre tentatives d’Araminte pour y arriver et la dernière pour dicter le nom du destinataire du billet, “« À Monsieur le comte Dorimont », véritable coup de poignard dans le cœur de Dorante.
Marivaux utilise aussi la figure de style de la répétition pour caractériser l’action laborieuse : :” Votre mariage est sûr “/” vous dis-je”/qu’elle rend à votre mérite la détermine.” : il s’agit de phrases répétées qui sont particulièrement blessantes pour l’amour propre du jeune homme.
Le ton d’Araminte est toujours péremptoire, mais il l’est -cette fois- à double titre, d’abord à l’égard de Dorante, mais en outre à l’égard du comte.
Elle s’adresse au premier toujours à l’impératif “Écrivez”/ “achevez”, ce qui donne un ton particulièrement cassant avec l’adverbe “n’importe” qui signifie qu’elle ne l’écoute pas ; par ailleurs, elle ne le lâche pas avec l’emploi du passé composé ou du présent, c’est-à-dire deux temps de la quasi immédiateté : “ Avez-vous écrit?”/”Vous ne m’écoutez donc pas ?”. Ces deux phrases interrogatives directes appellent ainsi normalement un oui ou un non, mais le pauvre Dorante n’en a pas le temps. Ces tournures sont au demeurant volontairement peu courtoises. Mais Araminte s’adresse aussi au comte.
Le ton à son égard est nettement plus aimable, il reprend les usages en vigueur avec des tournures de phrases particulièrement élaborées : on a ainsi de l’impératif “hâtez-vous”/ “n'attribuez point,” mais qui ont une valeur de conseil. On relève également l’emploi de l’indicatif “Votre mariage est sûr “ traduisant une manière de dire un fait et du subjonctif “que je vous écrive” qui a pour objet de souligner une action mûrement réfléchie, outre le conditionnel “que madame pourrait avoir” qui exclut toute autre possibilité. On y retrouve enfin des éléments de vivacité avec l’adverbe “ Non, monsieur,” qui a une valeur d’insistance destinée à blesser encore plus Dorante.
Examinons désormais l'enjeu du billet qui n’est composé que de trois phrases :
“ Votre mariage est sûr ; madame veut que je vous l’écrive, et vous attend pour vous le dire. N’attribuez point cette résolution à la crainte que madame pourrait avoir des suites d’un procès douteux. Non, monsieur, je suis chargé de sa part de vous assurer que la seule justice qu’elle rend à votre mérite la détermine. “
Ce sont des mots bien pesés dans la forme et dans le fond qui sont destinés à pousser Dorante à déclarer son amour pour Araminte.
Le stratagème repose sur l’opposition entre Dorante “je” et le comte “monsieur”, rivaux dans la conquête de la femme “madame”. Araminte participe donc à ce trio amoureux pour mieux en jouer. Le stratagème est fondé sur le rôle qu’elle fait jouer à Dorante et sur les actes à effectuer contenu dans le message.
Araminte aurait pu déclarer son amour directement, mais elle ne le fait pas. Elle force Dorante à écrire à sa place, il devient ainsi son scribe : notons la redondance : “ madame veut que je vous l’écrive”/” je suis chargé de sa part “ : mais l’emploi des verbes lourds de sens “vouloir” /“chargé” sont dénués de spontanéité. Cette insistance sur l’obligation de faire déclarer sa flamme par un tiers est donc en réalité un moyen pour Araminte d’obtenir de Dorante un aveu amoureux.
C’est pour cela qu’elle recourt à des antiphrases : “Votre mariage est sûr”/ “la seule justice qu’elle rend à votre mérite”. Mais Dorante ne le voit pas encore, il est dans l’incompréhension.
Dans ce billet, il s’agit de demander au rival de Dorante d’effectuer deux actions : la première consiste à venir chez Araminte. On voit la redondance “hâtez-vous”/ madame “vous attend “ : cela oblige Dorante à laisser le champ libre à son rival. Pourquoi cette action en particulier ? Cette arrivée contre la stratégie de Dorante exprimée dans la scène d’exposition : rappelons-nous qu’il misait sur son introduction dans l’intimité d’Araminte pour en obtenir les faveurs.
La deuxième partie du message vise enfin à ruiner complètement les espérances du jeune homme. Elle livre au comte les motifs de son supposé amour, on relève cela occupe les deux phrases du billet.
Le premier argument repose sur le caractère désintéressé de son amour : “la crainte que madame pourrait avoir des suites d’un procès douteux. “ Il était courant qu’un mariage repose sur des seuls intérêts financiers. On se souvient justement que le projet de mariage avec le comte voulu par la mère d’Araminte était destiné à éviter de perdre un procès comme Araminte le rappelle avec l’adjectif “douteux” et donc de l’argent, évoqué sous forme d’euphémisme avec le terme “les suites”. C’était donc de commune intention entre les parties un mariage arrangé et non d’amour comme c’était l’usage dans ce milieu social.
Mais Araminte sort de cette logique négative pour montrer au contraire la puissance de ses sentiments amoureux avec l’opposition entre “résolution”/ “crainte” et les verbes forts “assurer”/ “détermine” et l’évidence qui s’impose à elle “la seule justice”.
Araminte recourt aussi à une redondance dans la dernière phrase en fondant son amour cette fois positivement sur une appréciation personnelle du comte : c’est la valeur de l’homme qu’elle loue comme elle le suggère avec le groupe nominal “votre mérite”.
On assiste donc à une fausse déclaration d’amour qui a tout d’une vraie avec sa puissance et son caractère désintéressé.
Notons le jeu de scène qui accompagne la rédaction du billet. Là encore, Araminte scrute l’homme qu’elle aime tout en attendant positivement un acte de sa part entrant dans le champ de l’aveu amoureux avec deux verbes : “dire”/”parler”. Dorante subit l’action avant un retournement.
Araminte reconnaît lucidement le caractère perfide de son stratagème : on note le registre pathétique qui est double “ Il souffre” et son pendant ressentie cette fois par elle “Le cœur me bat !”. La référence au cœur a deux sens, la souffrance, mais aussi le fait qu’elle joue gros. Qui joue perd… On est sur un moment décisif entre les deux personnages.
Araminte mesure exactement le jeu pervers qu’elle mène au détriment de Dorante. Elle ne répond pas à ses paroles “n’importe”/”achevez”, pire elle le disqualifie en tant qu’interlocuteur : elle lui fait jouer le rôle d’émissaire.
Cependant il ne s’agit pas d’un acte destiné à le faire bêtement souffrir : la conjonction de coordination “mais” lie les deux verbes souffrir/dire avec un but, l’aveu d’amour. On note que la tournure négative montre que l’objectif n’est pas encore atteint “il ne dit mot”. L’interrogation suivante montre aussi une certaine inquiétude avec l’emploi du futur, de prédiction, mais mis là encore à la forme négative. On peut noter aussi une pointe d’impatience chez la fière Araminte.
Cette dernière le presse dès lors pour le gagner à son entreprise en recourant d’abord à deux phrases affirmatives : “Je crois que la main vous tremble ; vous paraissez changé.” : il s’agit de le pousser enfin à l’aveu qu’elle rend incontournable avec deux interrogations cette fois : “Qu’est-ce que cela signifie ? Vous trouvez-vous mal ?” : elle convoque le champ lexical de la maladie “main”/”tremble”/”changé”/”mal” : elle se fonde sur l’étymologie de la maladie, mal à dire, ce qui est justement le cas pour Dorante.
Enfin elle le pique en outre avec deux exclamations “Quoi ! si subitement ! “ et achève avec une pointe de perfidie dans cette antiphrase “cela est singulier.”
Enfin, résignée, elle lui assène deux ordres à l'impératif comme au début de la lettre : “Pliez/mettez”.
Il s’avère que la réaction de Dorante n’est pas à la hauteur de ses espérances : elle l’exprime par un aparté : “Il n’y a pas encore là de quoi le convaincre.” : l’amour est exprimé par la tournure “de quoi”. Le stratagème d’Araminte n’est pas gagnant, car Dorante qui s’est débattu n’est pas loin de percer son jeu…
On assiste à une gradation dans l’attitude de Dorante, pris d’abord entre la stupéfaction et la contestation, puis entre le désespoir et l’espoir.
Le premier mouvement résulte de l’interrogation non verbale et donc lapidaire : “Comment, madame ?” Les arguments d’Araminte le prennent, en effet, par surprise. Cependant, il ne se laisse pas abuser puisqu’il lui répond en déniant l’analyse : il lui rappelle la promesse qu’il lui a faite avec l’emploi des verbes mélioratifs “assuré”/”gagneriez”. Il insiste aussi sur la pertinence de son jugement en contestant le terme péjoratif d’Araminte “Douteux ! “ qui est repris. Il fait alors une déclaration quasi solennelle pour se redonner confiance à l’aide d’une phrase déclarative à la forme négative “il ne l’est point.” Mais Araminte le défie toujours et il perd alors confiance.
Le deuxième mouvement est celui où il se débat entre incompréhension, désespoir et enfin espoir. Le premier aparté nous renseigne de l’effet du stratagème qui commence à faire effet : on a une exclamation suivie d’une phrase déclarative “Ciel ! Je suis perdu. “ La référence au champ lexical de la mort “ciel”/”perdu” s’insinue dans celui de la maladie. Or, on a une opposition entre ce qu’il pense, l’intérieur de lui-même et ce qu’il dit, l'extérieur. Il se débat une nouvelle fois avec une dénégation bien moins solennelle que la précédente : “ Mais, madame, vous n’aviez aucune inclination pour lui.” : l’emploi de l’imparfait suggère une action révolue; a contrario, il comprend qu’elle aime maintenant le comte, mais il montre son incompréhension avec la conjonction de coordination “mais”.
Il est alors gagné par le désespoir exprimé par le champ lexical du corps englobant celui de la maladie et de la mort ; il somatise : “Je ne me trouve pas bien, madame.”
Mais il perçoit dans la réponse d’Araminte beaucoup d’accent d’insincérité : elle en fait trop ainsi qu’on l’a vu précédemment.
Finalement, il reprend espoir en s’interrogeant de manière négative : “Ne serait-ce point aussi pour m’éprouver ?” Il décèle enfin la manœuvre d’Araminte avec l’adverbe “aussi”: il comprend que son amour est en réalité mis à l’épreuve : “Dubois ne m’a averti de rien.” “Ce rien” suggère l’épreuve de passage auquel il a été soumis. On note l’opposition entre ses deux jugements sur le même homme “Ah ! Dubois m’a trompé”/”Dubois ne m’a averti de rien.” A ce stade de la pièce, le stratagème se retourne contre celle qui l’a initié : non seulement elle n’a pas eu l’aveu qu’elle attendait, mais en plus elle a donné des gages de ses sentiments à Dorante
repère à suivre : l’importance de la parole : analyse de l’acte III, scène 12