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Analyse-Livres & Culture pour tous

Gazette littéraire

Analyse linéaire du lendemain de l’orgie dans “la Peau de chagrin “ (Balzac) 

 

La scène se situe le lendemain du banquet orgiaque chez Taillefer, les convives sont dans un état pitoyable. La question qui se pose est celle de savoir comment la déperdition d’énergie est à l'œuvre dans ce passage. Pour y répondre, nous analyserons la vision ordonnée et horrible avant de voir la portée du rire satanique.

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Litteratus

Nous allons montrer les éléments à partir desquels Balzac conçoit sa propre vision du roman énergétique selon le plan suivant :

Plan :

a.définition de la Peau de chagrin : 

-nature et rôle de la Peau de chagrin (Balzac)

-analyse linéaire du pacte entre Raphaël et la Peau (première partie)  

b.l’énergie de la lumière :

- le rôle de la lumière  

- analyse linéaire du lendemain de l’orgie (deuxième partie) 

c. l’énergie du désir :

- le rôle "énergivore" du désir,

- la passion destructrice,

- l’analyse linéaire de la mort de Raphaël (troisième partie)  

d. les registres fantastique et tragique

Voyons aujourd'hui l’étude linéaire d’un deuxième texte : celui du lendemain de l’orgie qui se situe dans la deuxième partie du roman. Nous allons l’étudier en utilisant la méthode propre à la Gazette littéraire.

Méthode 

Il s’agit de prendre le texte sous six angles à l'aide du moyen mnémotechnique suivant : 

       6           GROSSES                                      CLEFS

Gr : grammaire                               C : Conjugaison

OS : oppositions                            le : champ lexical 

SE : les 5 sens                            FS : figures de style

Plan de l’analyse

Rappelons le contexte : le lecteur revient au temps linéaire du roman après l’analepse ayant permis à Raphaël d’évoquer sa vie au cours du dîner chez Taillefer.

La scène se situe donc le lendemain du banquet orgiaque ; les convives sont dans un état pitoyable.

Avec un savant travail sur la lumière, Balzac recourt à une focalisation omnisciente dans cette scène : il sait tout, voit tout et ce, jusqu’au tréfonds des cœurs des anciens convives. 

On peut décomposer le texte en 3 parties :

  • 1.Une vision organisée : du début… les fenêtres des salons,
  • 2.Une vision horrible : “l’assemblée…avec la débauche,”
  • 3. Le rire maléfique : Artistes et courtisanes… la fin

La problématique qui se pose est celle de savoir : comment  la déperdition d’énergie est à l'œuvre dans ce passage ?

“Le lendemain, vers midi, la belle Aquilina se leva, bâillant, fatiguée, et les joues  marbrées par les empreintes du tabouret en velours peint sur lequel sa tête avait reposé.  Euphrasie, réveillée par le mouvement de sa compagne, se dressa tout à coup en jetant un cri  rauque ; sa jolie figure, si blanche, si fraîche la veille, était jaune et pâle comme celle d’une fille allant à l’hôpital. Insensiblement les convives se remuèrent en poussant des gémissements  sinistres, ils se sentirent les bras et les jambes raidis, mille fatigues diverses les accablèrent à  leur réveil. Un valet vint ouvrir les persiennes et les fenêtres des salons./ L’assemblée se trouva  sur pied, rappelée à la vie par les chauds rayons du soleil qui pétilla sur les têtes des dormeurs.  Les mouvements du sommeil ayant brisé l’élégant édifice de leurs coiffures et fané leurs  toilettes, les femmes frappées par l’éclat du jour présentèrent un hideux spectacle : leurs  cheveux pendaient sans grâce, leurs physionomies avaient changé d’expression, leurs yeux si  brillants étaient ternis par la lassitude. Les teints bilieux qui jettent tant d’éclat aux lumières  faisaient horreur, les figures lymphatiques, si blanches, si molles quand elles sont reposées,  étaient devenues vertes ; les bouches naguère délicieuses et rouges, maintenant sèches et   blanches, portaient les honteux stigmates de l’ivresse. Les hommes reniaient leurs maîtresses  nocturnes à les voir ainsi décolorées, cadavéreuses comme des fleurs écrasées dans une rue  après le passage des processions. Ces hommes dédaigneux étaient plus horribles encore. Vous  eussiez frémi de voir ces faces humaines, aux yeux caves et cernés qui semblaient ne rien voir,  engourdies par le vin, hébétées par un sommeil gêné, plus fatigant que réparateur. Ces visages  hâves où paraissaient à nu les appétits physiques sans la poésie dont les décore notre âme,  avaient je ne sais quoi de féroce et de froidement bestial. Ce réveil du vice sans vêtements ni  fard, ce squelette du mal déguenillé, froid, vide et privé des sophismes de l’esprit ou des  enchantements du luxe, épouvanta ces intrépides athlètes, quelque habitués qu’ils fussent à  lutter avec la débauche. /Artistes et courtisanes gardèrent le silence en examinant d’un œil  hagard le désordre de l’appartement où tout avait été dévasté, ravagé par le feu des passions.  Un rire satanique s’éleva tout à coup lorsque Taillefer, entendant le râle sourd de ses hôtes,  essaya de les saluer par une grimace ; son visage en sueur et sanguinolent fit planer sur cette  scène infernale l’image du crime sans remords. (Voir L’Auberge rouge1.) Le tableau fut  complet. 

Honoré de Balzac , La Peau de Chagrin, Partie 2, 1831.  1 Nouvelle de Balzac publiée pour la première fois en 1831.

Avec le champ lexical du corps, (tête au pied), on assiste aux différents portraits des anciens convives de la fête. L'auteur choisit un angle omniscient en partant du particulier au général : les deux courtisanes, puis l'ensemble des participants. 

1.Une vision organisée

Balzac peint différents portraits et d’abord celui des deux courtisanes, l'une après l'autre. 

a) lenteur d’Aquilina

Notons le rôle mécanique qui se met en place, les uns réveillant les autres  "mouvement", et avec le bruit "cri" "gémissement". Il y a un véritable choix de narration de les montrer tous dans le même état de fatigue et de lenteur : "baillant""fatiguée" “mille fatigues". Ils sont sans énergie après la fête. 

On relève un effet de gradation : une infinie lenteur pour Aquilina, dont la description est basée sur son état général de fatigue, à un détail près, la marque sur son visage "empreintes du tabouret" : cela permet de nous montrer comment elle a dormi : elle s’est effondrée d’un coup comme une pile/batterie déchargée. 

b) passivité d’Euphrasie

On relève l’attitude passive d'Euphrasie qui subit le réveil avec le participe passé "réveillée". Par comparaison, elle paraît plus abîmée qu’Aquilina, car on a droit à une description bien plus précise. Balzac insiste sur l'opposition entre sa beauté d'hier (blanche, fraîche) et sa laideur du lendemain "jaune et pâle". Il pousse la description d'un cran avec la comparaison de l'hôpital, lieu de mort pour les pauvres puisque la courtisane est qualifiée d’"une fille". (NB : les riches mouraient chez eux...). Plus on avance, plus les détails corporels se font précis : "bras et jambes raidis". 

c) pénombre

On a jusqu'à présent une description qui s’effectue dans une pénombre, avec ce jeu de clair obscur voulu par Balzac. Mais l'arrivée du valet change la donne. Le domestique porte en lui une source d’énergie déclenchant une action. Son intervention signe, en effet, le moment de la mise en lumière du lieu clos et donc du réveil général et cruel. Le tableau horrible qui suit est d'un rare réalisme.

2.Une vision horrible

On est parvenu à une vision générale avec le mot "assemblée",  terme que l'auteur va décomposer méthodiquement entre les femmes et les hommes. Il procède avec un effet de gradation : les hommes paraissent plus abîmés avec le superlatif "plus horribles encore". 

a) la lumière

On assiste à un "spectacle” rappelant le théâtre ou à un "tableau” la peinture avec des sujets devenus figés. 

Notons l’importance de la lumière présentée sous sa force énergétique, "éclat du jour" "rayons du soleil" avec son effet lié à l'ouïe, "pétilla" : c’est la seule touche de douceur dans cette scène effarante. Il faut dire qu'elle provient de la nature et ne concerne que les seuls endormis, candeur du sommeil… 

Le dehors éclaire donc  le dedans ; avec la force de la lumière, il le fait de manière terrible d’abord en évoquant les femmes.

b) les femmes

Balzac décrit les femmes de haut en bas  : "coiffure",  "cheveux"/ le visage "teint/figure/physionomie" en accentuant le visage avec deux points clé : la bouche et les yeux.Avec la force de la lumière, l’auteur peut décrire le tableau avec des verbes métaphoriques de destruction : la lumière a bien un rôle d’énergie dévastatrice :"brisé"/ "fané" / "frappées" / "pendaient"/ "jettent" / "dévasté" /"ravagé. 

La couleur est mentionnée pour sa transformation visuelle effectuée dans un sens négatif : "ternie". Ainsi la lumière permet de voir un mécanisme de décoloration. Entre la veille et le lendemain, une opposition des teintes est manifeste : blanche/verte, rouge/blanche. 

Le choix de ces couleurs conduisent à évoquer leur transparence "décolorées" spectrales comme le champ lexical de la mort nous invite à le comprendre : "cadavéreuse" "yeux caves" "visage hâves" "squelette" "froid""vide" "procession" "fleurs écrasées" "stigmates". On entre dans le registre tragique avec cette description poussée à l'extrême. 

Il faut noter que cette description féroce émane des hommes dégoûtés de leurs courtisanes : "reniaient leurs maîtresses"/épouvanta". Cela permet de pivoter sur le portrait des hommes eux-mêmes.

c) les hommes

La lumière crue détruit l’homme, qui a perdu son unité. D’abord, il est ramené au stade de l’animal : "nu"/"sans vêtements" et la redondance "féroce et de froidement bestial". 

On note également l'opposition entre le corps/esprit : "intrépides athlètes" appétits physiques "/âme-esprit  : abdication par l'homme de sa nature spirituelle par la recherche mortifère des plaisirs. 

Balzac va alors personnifier la débauche, devenue une adversaire contre laquelle les hommes "luttent" avec le champ lexical du sport "athlètes". 

Il évoque le registre pathétique et tragique avec "ce réveil du vice/ce squelette du mal" : l’énergie dépensée conduit l'homme à sa propre destruction.

3. Le rire maléfique

La dernière partie du passage constitue finalement la synthèse du tableau avec le rôle du silence et sa rupture avec le rire démoniaque de Taillefer. 

a) silence

C'est l'absence de bruit qui frappe désormais alors que les cris et gémissements décrits plus haut se sont tus. Pourquoi ce silence alors qu'ils sont nombreux dans la pièce ? Pourquoi Balzac prive-t-il ses personnages de paroles au profit de la vue ?

Chacun jette en fait un regard sur la scène, cette seule vision en dit long sur la gravité du désordre exceptionnel qui y règne : Balzac recourt à l’hyperbole avec l'emploi des participes passés "dévasté et ravagé" .

Ce silence peut donc s’analyser en une honte des convives qui, par choix, "gardèrent le silence". C’est alors que l’énergie se renouvelle avec l’arrivée du maître, Taillefer.

b) rupture du silence 

La rupture du silence s’effectue par le banquier Taillefer. Face à leur apathie, il se moque de ses convives par une gestuelle : "rire""grimace" "saluer". Le mouvement est source d’énergie, mais destructrice. 

Le champ lexical des enfers apparaît dès lors avec la métaphore du “feu des passions" et les adjectifs "satanique", "sanguinolent" ou des groupes nominaux "scène infernale" "sueur"  "crime sans remords”.

C'est bien la damnation qui est encourue comme dans le pacte faustien. Balzac conclut en une phrase simple contrastant avec le rythme de son texte. Il résume son travail à l'aide de la métaphore du peintre  "tableau" ayant achevé son œuvre laquelle a épuisé son sujet "complet".

Nous verrons dans un prochain article le rôle énergivore du désir

repère à suivre : le rôle énergivore du désir

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