Analyse-Livres & Culture pour tous
1 Novembre 2022
Le premier texte de Colette les vrilles de la vigne qui donne son titre à l’ouvrage met en scène un rossignol, objet d'une métaphore filée, avant de relier son chant à une perception sensorielle de l'auteure qui aborde la question de la création littéraire.
repère : bac : analyse
Dans le cadre de notre dossier consacré à Colette, nous vous proposons une présentation et une analyse de l'œuvre selon la progression suivante :
1.présentation des œuvres :
2.analyse linéaire des passages suivants :
Ce dernier texte illustre le travail de l’écrivain qui évoque la légende du rossignol, constituant une métaphore et un prétexte pour évoquer le travail de l’écriture. Ainsi trois grandes parties de dessinent :
1. l’origine du chant nocturne du rossignol (NB : terme anglais "nightingale" soit le soir night et gale en vieil anglais : le chant),
2. un spectacle musical,
3. l’éveil poétique
/Autrefois, le rossignol ne chantait pas la nuit. Il avait un gentil filet de voix et s’en servaitavec adresse du matin au soir, le printemps venu. Il se levait avec les camarades, dans l’aube grise et bleue, et leur éveil effarouché secouait les hannetons endormis à l’enversdes feuilles de lilas.
Il se couchait sur le coup de sept heures, sept heures et demie, n’importe où, souventdans les vignes en fleur qui sentent le réséda, et ne faisait qu’un somme jusqu’au lendemain.
Une nuit de printemps, le rossignol dormait debout sur un jeune sarment, le jabot en boule et la tête inclinée, comme avec un gracieux torticolis. Pendant son sommeil, les cornes de la vigne, ces vrilles cassantes et tenaces, dont l’acidité d’oseille fraîche irrite et désaltère, les vrilles de la vigne poussèrent si dru, cette nuit-là, que le rossignol s’éveilla ligoté, les pattesempêtrées de liens fourchus, les ailes impuissantes…
Il crut mourir, se débattit, ne s’évada qu’au prix de mille peines, et de tout le printemps se jura de ne plus dormir, tant que les vrilles de la vigne pousseraient.
Dès la nuit suivante, il chanta, pour se tenir éveillé :
Tant que la vigne pousse, pousse, pousse…
Je ne dormirai plus !
Tant que la vigne pousse, pousse, pousse…
Il varia son thème, l’enguirlanda de vocalises, s’éprit de sa voix, devint ce chanteur éperdu, enivré et haletant, qu’on écoute avec le désir insupportable de le voir chanter./
/J’ai vu chanter un rossignol sous la lune, un rossignol libre et qui ne se savait pas épié. Il s’interrompt parfois, le col penché, comme pour écouter en lui le prolongement d’une note éteinte… Puis il reprend de toute sa force, gonflé, la gorge renversée, avec un air d’amoureuxdésespoir. Il chante pour chanter, il chante de si belles choses qu’il ne sait plus ce qu’elles veulent dire. Mais moi, j’entends encore à travers les notes d’or, les sons de flûte grave, les trilles tremblés et cristallins, les cris purs et vigoureux, j’entends encore le premier chant naïf et effrayé du rossignol pris aux vrilles de la vigne :
Tant que la vigne pousse, pousse, pousse…/
/Cassantes, tenaces, les vrilles d’une vigne amère m’avaient liée, tandis que dans mon printemps je dormais d’un somme heureux et sans défiance. Mais j’ai rompu, d’un sursauteffrayé, tous ces fils tors qui déjà tenaient à ma chair, et j’ai fui… Quand la torpeur d’une nouvelle nuit de miel a pesé sur mes paupières, j’ai craint les vrilles de la vigne et j’ai jeté tout haut une plainte qui m’a révélé ma voix.
Toute seule, éveillée dans la nuit, je regarde à présent monter devant moi l’astre voluptueux et morose… Pour me défendre de retomber dans l’heureux sommeil, dans le printemps menteur où fleurit la vigne crochue, j’écoute le son de ma voix. Parfois, je crie fiévreusement ce qu’on a coutume de taire, ce qui se chuchote très bas, – puis ma voix languit jusqu’au murmure parce que je n’ose poursuivre…
Je voudrais dire, dire, dire tout ce que je sais, tout ce que je pense, tout ce que je devine, tout ce qui m’enchante et me blesse et m’étonne ; mais il y a toujours, vers l’aubede cette nuit sonore, une sage main fraîche qui se pose sur ma bouche, et mon cri, quis’exaltait, redescend au verbiage modéré, à la volubilité de l’enfant qui parle haut pour se rassurer et s’étourdir…
Je ne connais plus le somme heureux, mais je ne crains plus les vrilles de la vigne./
Il vous sera proposé de trouver l’analyse en un tableau synthétique qui relève ce que nous avions relevé dans les autres analyses.
Clefs d’analyse |
illustrations |
procédés de style |
le cadre spatio- temporel |
partout/dans les vignes
matin au soir, aube. sept heures, sept heures et demie, lendemain/souvent/
la saison du printemps mise en relief : un printemps, de tout le printemps |
Vision générale dans le lieu indéfini qui se resserre dans le particulier avec la vigne : lieu clos
Vision générale dans le temps avec adverbes de temps, répétés, des oppositions
répétitions nombreuses du terme
effets recherchés : accentuation et contraste |
le végétal |
à l'envers des feuillesde lilas./sur un jeune sarment, dans les vignes en fleur
les vrilles de la vigne cassantes et tenaces
oseille le réséda |
Description minutieuse de la végétation à l’aide d’adverbes de situation(dessus, dessous) et de préposition (dans) inclusive.
d'adjectifs qualificatifs qui s'opposent : fragilité/force
de noms : comparaison oseille/vrille réséda/vrille
effets recherchés On a une nature très organisée, colorée (vert des feuilles et de l’oseille, mauve du lilas, jaune du réséda et de la fleur de vigne). effets de contraste |
l’animal |
le rossignol/ les hannetons
Une nuit de printemps, le rossignol le corps de l’oiseau jabot/tête/pâtes/ailes |
Utilisation du déterminant défini sing /pluriel : l’auteure évoque l’espèce en général
Parallèle entre ces 2 espèces volantes. opposition de tailles grand/petit (oiseau/insecte) c’est le rossignol, avec le même déterminant défini mais pas le même sens : le sujet de la légende : l’espèce en elle-même est en train d’évoluer.
effets recherchés : contraste |
Métamorphoses |
verbes :/s’en servait/se levait/Il crut mourir/se jura/se tenir éveillé/s’éprit
adjectifs : gentil/effarouchés/éperdu, enivré et haletant,
noms : torticolis/ chanteur paroles du rossignolTant que la vignepousse, pousse, pousse…Je ne dormirai plus !
nom : les cornes de la vrilles adjectif : tenaces et cassantes |
Personnification de l’animal : vision anthropocentrique. Enchantement du monde naturel
effets recherchés : importance du dynamisme de la vie, du mouvement,
gradation : le rossignol qui devient progressivement un homme
Animalisation du végétal
effets recherchés : le végétal est en plein mouvement. |
Conjugaison
|
chantait/avait/s’en servait.
les vignes en fleurqui sentent leréséda, dont l’acidité d’oseille fraîche irrite et désaltère,
Il crut mourir/se jura/ |
l’imparfait : effets recherchés : valeur de l’habitude
présent : effets recherchés : vérité générale
passé simple : rupture action soudaine |
les sens |
ouïe : voix/vocalises, écoute/
vue : couleurs des plantes de l’aube grise et bleue,
odorat : sentent le réséda
goût : l’acidité d’oseille fraîche
toucher : les liens, ligotés |
présence des 5 sens
effets recherchés : vision sensorielle exubérante, fête des sens : harmonie de la nature et de l’animal qui est généreuse |
les registres |
choix du rossignol :
choix de la vigne :
choix d’insérer un court poème
Tant que la vigne pousse, pousse, pousse…
choix d’opposer chanter/dormir : Je ne dormirai plus ! Tant que la vigne pousse, débattit/ impuissantes/ irrite /
cassantes/ ligotés/ fourchus (diable)/ cru mourir/ ne plus dormir / désir insupportable |
lyrique : symbole du printemps compris comme la saison du renouveau, de l’éveil, de la jeunesse,de la création,et de l’exaltation amoureuse
symbole du vin et donc épicurien, de la vie entière
mise en abyme dans un texte poétique.
rythme ternaire
épique : combat de la vie (chant) contre la mort menaçante (sommeil)
tragique : la mort, la fin dernier oxymore pour signifier la brûlure de la vie, passion dévastatrice. |
2. un spectacle musical
Clefs d’analyse |
illustrations |
procédés de style |
le cadre spatio-temporel |
la lune |
le choix de la nuit |
l'animal |
un rossignol/ du rossignol pris aux vrilles de la vigne :
qui ne se savait pas épié.
Il chante pour chanter, |
déterminant indéfini : un parmi d’autres opposition avec le rossignol vu précédemment
référence au corps : organes de la voix
proposition relative avec une négation pour signifier paradoxalement une affirmation : aspect naturel de l’oiseau, centré sur lui-même (sans artifice). pas d’autrui
pléonasme pour montrer que l’animal vit dans l’instant, sans arrière-pensées comme chez les humains |
métamorphose |
“libre”
en lui
sa force
comme pour écouter le prolongement d’une note éteinte/un aird’amoureux/note d’or /flûte/trilles/premier chant
il chante de si belles choses qu’il ne sait plus ce qu’elles veulent dire.
|
attribut humain
introspection humaine
attribut humain
Comparaison avec un être humain et champ lexical de la musique.
antithèse entre aspect mélioratif voie affirmative et l’aspect péjoratif à la voix négative : prêter à l’oiseau la mémoire |
l’humain |
je, moi
le sens de l'ouïe et de la vue : J’ai vu chanter répétition et redondance écouter/entendre/chanter/ notes d’or
mais moi, j’entends encore : répétés par anaphore
le premier chant naïf |
sujet qui est le conteur de la légende.
spectacle visuel et auditif
Le sens musical est en éveil :
je en opposition avec l’ignorance du rossignol. Redondance de la tournure personnelle moi/je l'anaphore : narrateur est l’unique témoin de la genèse de la légende |
la conjugaison |
j’ai vu
Il s’interrompt/Il reprend/Il chante/j’entends |
passé composé : action qui vient de se passer : souvenir proche.
présent de narration : action prise sur le vif,mais qui a une valeur d’habitude |
les registres |
la lune,
amoureux,
j’entends encore le premier chant
Tant que la vigne pousse, pousse, pousse…
amoureux désespoir/ éteinte/renversée/ graves/tremblés/ effrayé/pris |
registre lyrique :
La nuit, moment poétique par excellence.
Thème de l’amour Influence du romantisme
anaphore : procédé de répétition : musicalité
poème mis en abyme
registre tragique : champ lexical de la mort : la finitude de la beauté qui passe. Influence épicuriste |
3. l’éveil poétique
Clefs d’analyse |
Illustrations |
Procédés de style |
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Le cadre spatio-temporel |
l’astre la nuit/l’aube printemps la vigne
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reprise du cadre du début du poème : unité du texte. |
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Le végétal |
les vrilles de la vigne
cassantes, tenaces”
j’ai craint les vrilles de la vigne
je ne crains plus les vrilles de la ville : fin du texte
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métaphore reprise :
reprises de l’opposition fragilité/force.
tournure affirmative : peur, menace de la nature
tournure négative pour dire une affirmation : cette fois, la nature est appropriée avec le verbe “craindre” |
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L’humain |
je liée/éveillée
chair/paupières/main bouche/voix
je/ma voix/enfant
Toute seule/“lune de miel” “une main”
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passage du je indifférencié au genre féminin : participes passés exprimant des actions subies. Besoinsphysiologiques : le sommeil, métaphore de la vie subie état physiologique
rôle du corps : expérience charnelle dans la métamorphose
moi/autrui : éléments autobiographiques voilés (mariage avec Willy) mais qui évoquent de manière générale la compréhension par autrui de l’œuvre. |
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métamorphose |
la femme est comme le rossignol
1. somme heureux et sans défiance/ sommeil heureux/je dormais
2. j’ai rompu/j’ai fui/j’ai jeté
retomber/ printemps mensonger 4.dire, dire, dire
tout ce que… 5.je n’ose poursuivre/la main qui se pose sur ma bouche |
métaphore reprise transformation progressive : passage 1.d’un état l’innocence
2.à une lutte : verbes de mouvement : 3.état d’inquiétude permanente, sur le vif et sur le fil prise de conscience de l’aliénation, fausseté de la vie 4. hymne à la création : répétition du verbe qui résonne comme l’oiseau : vibration de la langue
anaphore :ressources immenses 5. limites de la création : le mensonge comme travail de la poésie sur le monde approprié. poète est un intermédiaire entre la réalité et la retranscription du monde |
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les sens |
4 sens : 1.le goût : amère 2.le toucher : j’ai rompu/j’ai jeté 3.l'ouïe : ma voix 4.la vue : je regarde
l'ouïe/le toucher cri/chuchotement/ murmure
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reprise de tous les sens sauf l’odorat : associé à une situation de béatitude Gradation dans la perception : lutte pour la liberté créatrice qui se joue. gradation de sons du fort à l’inaudible : des choses impossibles à dire dans la création.
création comporte par déterminant indéfini : action concerne le geste et moins la personne. Il s’agit de la faire taire : création littéraire comporte des éléments insaisissables.Geste aussi amoureux
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La conjugaison |
plus-que-parfait m’avaient liée
imparfait : je dormais/tenaient passé composé : j’ai rompu/j’ai jeté/j’ai craint
présent : je regarde/j’écoute/je crie
conditionnel : je voudrais |
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Les registres |
1.cadre spatio-temporel somme/ sommeil/dormais/dormais lune de miel/ voluptueux/ une main/heureux
2.plainte/a pesé/
tous ces fils/ j’ai fui/j’ai jeté/ tout haut 4.révélé ma voix je regarde/j’écoute/je crie/voluptueux, enchante/ languir,chuchote/ s’exalte/s’étourdir 5. retomber, printemps menteur/ amère/morose crochue (diable)/blesse Je ne connais plus le somme heureux,
6.mais je ne crains plus les vrilles de la vigne
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combinaison des registres 1.lyrique : éléments du courant du romantisme,sommeil : innocence de la vie/ l’amour
2. élégiaque : douleur
4. retour au lyrique mêlé : amour
5. pathétique, et tragique : combinaison de la souffrance et de la mort
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