Analyse-Livres & Culture pour tous
3 Octobre 2022
Des Grieux a tout perdu, sauf cette réécriture de sa propre histoire qu’il envisage comme un écrivain comme nous venons de le dire. Il maîtrise son discours puisque c’est la seule chose qui lui reste. Ce discours devient le tombeau pour Manon.
repères : bac : Manon Lescaut
La problématique du dossier que nous consacrons à Manon Lescaut est la suivante : un roman de la transgression, un nouveau genre littéraire ?
Pour répondre à cette question, il vous sera proposé un dossier contenant les articles suivants :
Nous avons vu précédemment la question de la transgression pénale. Nous verrons aujourd’hui la transgression ultime : la remémoration du récit qui a une conséquence sur le plan de la vérité.
Jean Sgard a renouvelé l’étude critique de cette œuvre. Que suggère principalement cette analyse ? les points suivants :
Reprenons ces idées.
Des Grieux rencontre de manière fortuite un aristocrate, témoin de son premier malheur ; cette circonstance le pousse à la confession qui dure trois heures à voix haute. Il se livre à un discours spontané devant ces deux étrangers qui lui prêtent une attention bienveillante.
Ce monologue lui offre la possibilité de se pencher sur son passé : il occupe la place de héros et de narrateur. Il ne peut pas être question de faire une narration factuelle, au demeurant, il n’a jamais cherché à être objectif. Il entend revisiter son histoire et se perdre comme dans un labyrinthe dans ses souvenirs. Il prend le temps de nourrir son récit de détails, de jugements, d’interrogations.
un monologue
L’originalité de ce monologue consiste à enchâsser six dialogues souvent sur ses malheurs narrés à Tiberge, à Lescaut, au supérieur de Saint-Lazare, à M. de T, au lieutenant de police, à son père, au capitaine du vaisseau et au gouverneur.
C’est autant de représentations diverses, de labyrinthes, du même récit modulé en fonction des différents interlocuteurs de Des Grieux.
Des Grieux est un habile conteur entraînant le lecteur dans un labyrinthe de procédés stylistiques.
Il discourt essentiellement au style indirect, qui est celui qui lui permet d’apporter une floraison de détails, colorant le récit de manière toujours avantageuse.
Il bascule soudainement au style direct, celui de la sincérité, pour rendre encore plus vivants les échanges entre lui-même et les autres. Cette mise en valeur permet de mentionner les tons, la gestuelle, etc.
Notons que Prévost a décidé d’intégrer le dialogue dans le discours narratif, ce qui explique le choix de retirer les guillemets et les tirets, omettant aussi les retours à la ligne.
On relève que c’est Des Grieux qui monopolise la parole dans le récit, en adoptant un point de vue interne ; il laisse quelques bribes de mots à Manon qui parle essentiellement au style indirect. Il voit tout à l’aune de sa propre conscience.
On a montré dans l’analyse linéaire que la phrase est elle-même est sinueuse; elle se perd dans les détails : on a affaire à des labyrinthes de propositions. Ces dernières partent en cascade qu’elles soient juxtaposées ou coordonnées.
Mais la plume de l’auteur excelle dans la cascade de subordonnées.
La principale s'ouvre sur des propositions subordonnées qui débouchent sur d’autres. On a ainsi toute une gamme de propositions subordonnées relatives, conjonctives ou circonstancielles de concession, de conséquence, outre des propositions participiales, infinitives, etc…
La richesse de ce style labyrinthe fait ressortir les débats intérieurs du narrateur, ses interrogations, ses artifices, mais également ses doutes et ses larmes…
Il recourt à différents registres pathétiques, tragique, mais aussi comique.
C’est une narration qui constitue en réalité un plaidoyer.
La passion initiale demeure toujours aussi vive dans le récit que Des Grieux en fait. Il poursuit un objectif qui dépasse la simple narration à des oreilles attentives. Il cherche à comprendre l’origine de ses erreurs qui sont la cause de son malheur. Il soliloque, il forge pour lui-même un plaidoyer pour un amour défunt.
Tombeau
Des Grieux a tout perdu, sauf cette réécriture de sa propre histoire qu’il envisage comme un écrivain comme nous venons de le dire. Il maîtrise son discours puisque c’est la seule chose qui lui reste. Il a toujours été doué pour le travail de l’esprit : il y goûte à satiété. Ce discours devient le tombeau pour Manon.
sources :
Jean Sgard, labyrinthes de la mémoire, PUF