Analyse-Livres & Culture pour tous
3 Octobre 2022
Ce roman nous invite à une réflexion sur la décadence sociale. Les choix que font les deux amants ont une incidence sur leur positionnement social. Pour Manon, c’est d’abord l’ascension sociale avant la chute brutale ; pour Des Grieux, c’est une descente progressive de l'échelle sociale.
repères : bac : Manon Lescaut
La problématique du dossier que nous consacrons à Manon Lescaut est la suivante : un roman de la transgression, un nouveau genre littéraire ?
Pour répondre à cette question, il vous sera proposé un dossier contenant les articles suivants :
Nous avons vu précédemment la question de “l’auteur” dans son avis au lecteur. Nous analyserons dans cet article la transgression sociale.
Nous vous invitons à vous pencher sur le contexte historique du livre pour comprendre la nature des manquements aux lois commis par les deux héros.
Nous avons déjà indiqué que ce livre nous invite à une réflexion sur la décadence sociale. Voyons ensemble la position initiale des héros avant d’examiner la décadence dans laquelle ils ont sombré. Les choix que font les deux amants ont une incidence sur leur positionnement social. Pour Manon, c’est d’abord l’ascension avant la chute brutale ; pour Des Grieux, c’est une descente progressive de l'échelle sociale.
Des Grieux est le fils cadet d’un aristocrate, veuf, de province. C’est un jeune homme candide, brillant, doué pour les études. Il dispose ainsi d’une culture savante fondée sur des auteurs sérieux. Son père le destine à une carrière ecclésiastique ( soit dans l'Église) pour laquelle il présente des prédispositions. Il porte déjà le titre prestigieux de chevalier de Malte.
De Grieux est soumis en tout point à son père auquel il est très attaché. Il respecte par ailleurs les lois de sa caste : la vertu et l’honneur bornent sa conduite jusque-là irréprochable.
La rencontre avec Manon Lescaut rompt cette belle destinée toute tracée.
Cette dernière occupe une situation diamétralement opposée à la sienne : elle est une jeune fille d’un milieu modeste, très peu dotée, ce qui l'empêche de se marier. C’est d’abord pour une raison financière que ses parents la placent au couvent. Gageons qu’elle se situerait certainement à un faible rang dans l’organisation monastique.
Mais Manon avec son caractère extravagant et sa beauté incroyable a tout d’une aventurière. Sa famille qui la connait s’est méfiée de son net penchant pour ses frasques : ils ont choisi pour elle un lieu clos à l’abri des tentations du monde pour cette deuxième raison.
Mal leur en a pris, car après sa fuite, elle se lance à corps perdu dans les relations galantes qui lui ouvrent la voie vers les plaisirs et les divertissements. Manon est prête à vendre ses charmes pour vivre ou survivre.
À Paris, la vie qu’elle mène est brillante : de beaux vêtements, des bijoux de valeur, l’usage de carrosses, des domestiques, des spectacles, des hommes à ses pieds… Elle connait dans le monde du libertinage parisien une ascension à laquelle elle n’était pas destinée.
Mais c'est sans compter sur sa chute brutale et sa déportation avec des prostituées vers la Louisiane, c'est à-dire le bannissement avec les personnes qui occupent le plus bas niveau de l’échelle sociale. Une fois là-bas, c’est sans compter aussi sur le mariage forcé qu’on cherche à lui imposer outre-Atlantique : elle est placée sous la sujétion entière du gouverneur comme n’importe quelle fille de joie. La situation de Des Grieux n’est guère plus avantageuse.
À Paris, Des Grieux a mené grand train pour satisfaire les folies de Manon. Pour ce faire, il lui a fallu de l’argent : il a dû fréquenter un tout autre monde que celui auquel il a été habitué. Il découvre ainsi les cercles de jeux et la pègre. Pour autant, il ne s’est pas complètement coupé de sa caste d’origine : il cherche des appuis des siens pour obtenir davantage d’argent.
Il conserve encore quelques liens avec son milieu aristocratique comme M. de T.. qui le considère avec bienveillance en l’aidant même dans ses manœuvres pour sa perte.
Le lieutenant de police, tout comme son père et le vieux G. M regardent finalement ses écarts comme une simple passade : il reviendra bien à la raison par la force s’il le faut.
Pour cela, il est décidé de déporter Manon en Louisiane, ce qui permettra au jeune homme de rentrer dans le rang. On cherche donc à le sortir du déshonneur avec ce soutien de caste qui le fait encore appartenir à ce monde.
Mais Des Grieux ne se soumet pas à la loi de son rang : il déchoit socialement.
La fin du livre
En quittant la France, Des Grieux a perdu tout son prestige puisqu’il a clairement rompu avec son milieu social. Il ne peut plus se faire appeler chevalier. Au lieu d’être ecclésiastique, il a occupé un emploi de vulgaire employé de garnison, c’est-à-dire le plus bas niveau de l’échelle militaire. Les dernières pages du livre nous montrent un Des Grieux qui a ainsi tout perdu, son amour et son rang social. Il n’a plus d’appui dans le monde hormis Tiberge et le soutien financier de son frère. À son retour en France, Des Grieux est appelé à mener une vie de reclus : l’offense à la société qu’il a commise lui ferme désormais toutes les portes. Il s’est condamné à la solitude : c’est la décadence.
Décadence
Le roman de Prévost est donc fondé sur cette transgression sociale qui, une fois consommée, est définitive. Il n’existe pas de prescription pour l’oubli des lois de sa caste.
Dans l’article suivant, nous verrons la rupture familiale commise par Des Grieux.
source : Jean Sgard, labyrinthes de la mémoire, PUF
repère à suivre : la transgression familiale