Analyse-Livres & Culture pour tous
3 Octobre 2022
Manon et Des Grieux sont coupables de vol et d’escroquerie. C'est sous le coup de la récidive que la sanction tombe : elle est arbitraire, car elle est purement administrative et qu’elle ne concerne que Manon. Des Grieux qui a commis des crimes plus graves n’est pas inquiété : on cherche, en effet, à faire taire le scandale de sa conduite, en escomptant que la leçon serve à un retour dans le giron paternel. Ne disposant d’aucune protection ni de soutien, Manon paiera donc pour les deux…
repères : bac : Manon Lescaut
La problématique du dossier que nous consacrons à Manon Lescaut est la suivante : un roman de la transgression, un nouveau genre littéraire ?
Pour répondre à cette question, il vous sera proposé un dossier contenant les articles suivants :
Nous avons vu précédemment la question de la transgression des mœurs ; il est temps d’analyser la problématique pénale. Les actions des deux amants sont certes mauvaises, mais surtout délictuelles lorsqu’elles ne sont pas criminelles.
Manon et Des Grieux sont coupables de vol et d’escroquerie en soutirant de l’argent et autres biens de valeur d’hommes libidineux. Ce sont aussi des personnes recherchées par la police après avoir fui les lieux de détention où ils ont été placés. Enfin, Des Grieux a commis des crimes plus graves en tirant sur le gardien de la prison de Saint-Lazare, en faisant séquestrer le jeune GM…
On note que le cas a été résolu dans un arbitraire le plus total. C’est sous l’autorité du lieutenant de police que les deux amants ont été par deux fois arrêtés et détenus en prison. La justice n’a pas été saisie.
La première fois, c’est par une haute intervention que l’affaire est classée ; la seconde fois, l’arbitraire règle définitivement la question.
Notons qu’elle a été solutionnée à la demande du vieux GM et du père des Des Grieux comme c’était la norme sous l’Ancien Régime. Le statut de père conférait des droits exorbitants sur ses enfants.
Le vieux GM veut venger son fils humilié et le père de Des Grieux souhaite faire cesser le libertinage de son fils.
C’est ainsi que la décision de déporter Manon avec des filles de joie en Louisiane est prise par le lieutenant de police.
On voit donc que Manon est la seule sanctionnée ; Des Grieux est, quant à lui, libre de ses mouvements alors qu'il est non seulement coauteur des mêmes agissements frauduleux, mais aussi, pire, qu’il a commis un crime en tirant sur le portier de la prison et qu’il a tenté d’étrangler le vieux GM.
Comme un homme de qualité, il échappe à la peine. C’est bien une “justice” de classe. La transgression se règle en définitive entre “gens de bonne compagnie”, à l’abri de la publicité. On cherche, en effet, à faire taire le scandale de la conduite du jeune aristocrate, en escomptant que la leçon serve à un retour à la morale dans le giron paternel.
Ne disposant d’aucune protection ni de soutien, Manon paiera donc pour les deux. Mais de quoi est-elle coupable ?
Elle est punie en raison de son comportement récidiviste : par deux fois, elle commet le délit d’escroquerie.
Les effets de la sanction sont dramatiques. En quittant la France pour un pays lointain, elle découvre un monde hostile où elle passe sous la tutelle du gouverneur, lorsque ce dernier apprend qu’elle n’est pas mariée à Des Grieux. On dispose d’elle comme des femmes de joie pour des unions forcées.
Dans l’article suivant, nous verrons l’ultime transgression du livre : une remémoration, un tombeau pour Manon ?
repère à suivre : une remémoration, un tombeau pour Manon?